Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/62

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dames[1], toujours nous répond Da (oui) et niett (non) et jamais Da-sse, niett-sse »[2]. Voilà les reproches que tout le monde lui fit.


Sur ces entrefaites, un seigneur du voisinage vint habiter ses terres, et, autant qu’Eugène, encourut la réprobation générale. Son nom était Wladimir Lensky ; il sortait de l’université de Gœttingue, beau, jeune, admirateur passionné de Kant, et de plus poète. Il avait rapporté de la nébuleuse Allemagne des rêves de liberté, un esprit ardent et quelque peu étrange ; une parole enthousiaste, et de longs cheveux tombant jusqu’aux épaules.


Son âme ne s’était pas desséchée au souffle corrompu du monde ; elle goûtait encore les charmes de l’amitié, la douceur des caresses d’une jeune fille. La candeur, l’ignorance naïve embaumaient sa vie ; l’espérance la berçait ; l’éclat et le bruit du monde enchantaient sa jeune imagination.

  1. Autre habitude à laquelle les vrais Russes ne manquent jamais.
  2. Pour marquer la déférence pour les personnes à qui l’on parle, il est d’usage, surtout à la campagne, parmi les seigneurs et les paysans, de faire suivre chaque mot de la syllabe sse, qui semble une abréviation du mot ssoudare, qui signifie monsieur.