Ah ! cet amour était de ceux que notre temps ne
connaît plus, et qui sont réservés aux seules âmes
des poètes ! — Pour lui, en effet, à chaque heure,
en tout lieu, un seul rêve, un seul désir, une
seule image !… Rien, ni l’absence qui refroidit,
ni les heures consacrées à la muse, ni les plaisirs
bruyants, ni l’étude, ne peuvent soustraire son
âme au charme de cet amour d’enfance.
Lensky entrait à peine dans l’adolescence lorsqu’il
s’éprit d’Olga. Mais alors les tourments du
cœur lui étaient inconnus, et il partageait, sous
les bosquets ombreux, les jeux de son amie ; les
voisins et les parents prédisaient aux deux enfants
la couronne[1] de l’hyménée. Au fond des bois
qui entouraient sa demeure, Olga croissait sous
les regards paternels, comme le muguet inconnu
fleurit sous l’herbe, ignoré des abeilles et des
papillons.
C’est elle qui fournit au poète le premier de ses rêves enthousiastes ; c’est elle qui fit vibrer sa lyre
- ↑ Dans la cérémonie du mariage grec, on tient au dessus de la tête des jeunes époux deux couronnes d’or enrichies de pierreries.