Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/96

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jamais connu ; j’aurais toujours ignoré l’amertume des douleurs que le trouble de l’amour apporte à une âme inexpérimentée. Le temps peut-être m’eût donné la force d’accepter la vie ; j’aurais trouvé un ami pour appuyer mon cœur, j’aurais été une épouse fidèle et une mère vertueuse… Un autre ?… non ! à personne au monde je n’aurais accordé mon amour ! Le ciel a rendu un arrêt suprême : Je suis à toi ! Ma vie entière n’a été qu’une attente de toi ; je sais que tu es envoyé de Dieu pour être, jusqu’à la tombe, mon ange gardien !… Tu réapparaissais dans mes songes ; je ne t’avais pas encore vu, et déjà tu m’étais cher, ton regard enchanteur me ravissait, et depuis longtemps ta voix retentissait dans mon âme ! Non, non, ce n’était pas un rêve ! À peine avais-tu franchi notre seuil que je te reconnus ; un frisson brûlant et glacé parcourut tout mon être, et je me dis : C’est lui. — Ah ! je t’ai entendu, n’est-ce pas ? tu me parlais dans le silence, lorsque je secourais les pauvres, ou que je cherchais dans la prière un peu de calme pour mon âme agitée ? Tu m’apparaissais alors, vision chérie, à travers l’obscurité, qui pour moi devenait lumineuse ; c’était toi,