Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/105

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tu me veux du bien en effet, renvoie-moi à Orenbourg. »

Pougatcheff se mit à réfléchir :

« Mais si je te renvoie, dit-il, me promets-tu du moins de ne pas porter les armes contre moi ?

– Comment veux-tu que je te le promette ? répondis-je ; tu sais toi-même que cela ne dépend pas de ma volonté. Si l’on m’ordonne de marcher contre toi, il faudra me soumettre. Tu es un chef maintenant, tu veux que tes subordonnés t’obéissent. Comment puis-je refuser de servir, si l’on a besoin de mon service ? Ma tête est dans tes mains ; si tu me laisses libre, merci ; si tu me fais mourir, que Dieu te juge ; mais je t’ai dit la vérité. »

Ma franchise plut à Pougatcheff.

« Soit, dit-il en me frappant sur l’épaule ; il faut punir jusqu’au bout, ou faire grâce jusqu’au bout. Va-t’en des quatre côtés, et fais ce que bon te semble. Viens demain me dire adieu. Et maintenant va te coucher ; j’ai sommeil moi-même. »

Je quittai Pougatcheff, et sortis dans la rue. La nuit était calme et froide ; la lune et les étoiles, brillant de tout leur éclat, éclairaient la place et le gibet. Tout était tranquille et sombre dans le reste de la forteresse. Il n’y avait plus que le cabaret où se voyait de la lumière et où s’entendaient les cris des buveurs attardés. Je jetai un regard sur la maison du pope ; les portes et les volets étaient fermés ; tout y semblait parfaitement tranquille.

Je rentrai chez moi et trouvai Savéliitch qui déplorait mon absence. La nouvelle de ma liberté recouvrée le combla de joie.

« Grâces te soient rendues, Seigneur ! dit-il en faisant le signe de la croix. Nous allons quitter la forteresse demain au point du jour, et nous irons à la garde de Dieu. Je t’ai préparé quelque petite chose ; mange, mon père, et dors