Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/104

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« Pourquoi ris-tu ? me demanda-t-il en fronçant le sourcil ; est-ce que tu ne crois pas que je sois le grand tsar ? réponds-moi franchement. »

Je me troublai. Reconnaître un vagabond pour empereur, je n’en étais pas capable ; cela me semblait une impardonnable lâcheté. L’appeler imposteur en face, c’était me dévouer à la mort ; et le sacrifice auquel j’étais prêt sous le gibet, en face de tout le peuple et dans la première chaleur de mon indignation, me paraissait une fanfaronnade inutile. Je ne savais que dire.

Pougatcheff attendait ma réponse dans un silence farouche. Enfin (et je me rappelle encore ce moment avec la satisfaction de moi-même) le sentiment du devoir triompha en moi de la faiblesse humaine. Je répondis à Pougatcheff :

« Écoute, je te dirai toute la vérité. Je t’en fais juge. Puis-je reconnaître en toi un tsar ? tu es un homme d’esprit ; tu verrais bien que je mens.

– Qui donc suis-je d’après toi ?

– Dieu le sait ; mais, qui que tu sois, tu joues un jeu périlleux. »

Pougatcheff me jeta un regard rapide et profond :

« Tu ne crois donc pas que je sois l’empereur Pierre ? Eh bien ! soit. Est-ce qu’il n’y a pas de réussite pour les gens hardis ? est-ce qu’anciennement Grichka Otrépieff n’a pas régné ! Pense de moi ce que tu veux, mais ne me quitte pas. Qu’est-ce que te fait l’un ou l’autre ? Qui est pope est père. Sers-moi fidèlement et je ferai de toi un feld-maréchal et un prince. Qu’en dis-tu ?

– Non, répondis-je avec fermeté ; je suis gentilhomme ; j’ai prêté serment à Sa Majesté l’impératrice ; je ne puis te servir. Si