maintes fois Ivan Kouzmitch s’était assoupi au bruit des gronderies de sa femme. Chvabrine apporta lui-même de l’eau-de-vie à son chef. Pougatcheff en but un verre, et lui dit en me désignant : « Offres-en un autre à Sa Seigneurie ».
Chvabrine s’approcha de moi avec son plateau ; je me détournai pour la seconde fois. Il me semblait hors de lui-même. Avec sa finesse ordinaire, il avait deviné sans doute que Pougatcheff n’était pas content de lui. Il le regardait avec frayeur et moi avec méfiance. Pougatcheff lui fit quelques questions sur l’état de la forteresse, sur ce qu’on disait des troupes de l’impératrice et sur d’autres sujets pareils. Puis, tout à coup, et d’une manière inattendue :
« Dis-moi, mon frère, demanda-t-il, quelle est cette jeune fille que tu tiens sous ta garde ? Montre-la-moi. »
Chvabrine devint pâle comme la mort.
« Tsar, dit-il d’une voix tremblante, tsar, … elle n’est pas sous ma garde, elle est au lit dans sa chambre.
– Mène-moi chez elle », dit l’usurpateur en se levant.
Il était impossible d’hésiter. Chvabrine conduisit Pougatcheff dans la chambre de Marie Ivanovna. Je les suivis.
Chvabrine s’arrêta dans l’escalier : « Tsar, dit-il, vous pouvez exiger de moi ce qu’il vous plaira ; mais ne permettez pas qu’un étranger entre dans la chambre de ma femme.
– Tu es marié ! m’écriai-je, prêt à le déchirer.
– Silence ! interrompit Pougatcheff, c’est mon affaire. Et toi, continua-t-il en se tournant vers Chvabrine, ne fais pas l’important. Qu’elle soit ta femme ou non, j’amène qui je veux chez elle. Votre Seigneurie, suis-moi. »
À la porte de la chambre Chvabrine s’arrêta de nouveau et dit d’une voix entrecoupée : « Tsar, je vous préviens qu’elle a la fièvre, et depuis trois jours elle ne cesse de délirer.
– Ouvre ! » dit Pougatcheff.