Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/166

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qui pouvait témoigner de mon zèle pendant le siège désastreux d’Orenbourg.

Le sévère vieillard prit sur la table une lettre ouverte qu’il se mit à lire à haute voix :

« En réponse à la question de Votre Excellence, sur le compte de l’enseigne Grineff, qui se serait mêlé aux troubles et serait entré en relations avec le brigand, relations réprouvées par la loi du service et contraires à tous les devoirs du serment, j’ai l’honneur, de déclarer que ledit enseigne Grineff s’est trouvé au service à Orenbourg, depuis le mois d’octobre 1773 jusqu’au 24 février de la présente année, jour auquel il s’absenta de la ville, et depuis lequel il ne s’est plus représenté. Cependant, on a ouï dire aux déserteurs ennemis qu’il s’était rendu au camp de Pougatcheff, et qu’il l’avait accompagné à la forteresse de Bélogorsk, où il avait été précédemment en garnison. D’un autre coté, par rapport à sa conduite, je puis… »

Ici le général interrompit sa lecture, et me dit avec dureté :

« Eh bien, que diras-tu maintenant pour ta justification ? »

J’allais continuer comme j’avais commencé et révéler ma liaison avec Marie aussi franchement que tout le reste. Mais je ressentis soudain un dégoût invincible à faire une telle déclaration. Il me vint à l’esprit que, si je la nommais, la commission la ferait comparaître ; et l’idée d’exposer son nom à tous les propos scandaleux des scélérats interrogés, et de la mettre elle-même en leur présence, cette horrible idée me frappa tellement que je me troublai, balbutiai et finis par me taire.

Mes juges, qui semblaient écouter mes réponses avec une certaine bienveillance, furent de nouveau prévenus contre moi par la vue de mon trouble. L’officier aux gardes demanda que je fusse confronté avec le principal dénonciateur. Le général ordonna d’appeler le coquin d’hier. Je me tournai