Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/167

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vivement vers la porte pour attendre l’apparition de mon accusateur. Quelques moments après, on entendit résonner des fers, et entra… Chvabrine. Je fus frappé du changement qui s’était opéré en lui. Il était pâle et maigre. Ses cheveux, naguère noirs comme du jais, commençaient à grisonner. Sa longue barbe était en désordre. Il répéta toutes ses accusations d’une voix faible, mais ferme. D’après lui, j’avais été envoyé par Pougatcheff en espion à Orenbourg ; je sortais tous les jours jusqu’à la ligne des tirailleurs pour transmettre des nouvelle écrites de tout ce qui se passait dans la ville ; enfin j’étais décidément passé du côté de l’usurpateur, allant avec lui de forteresse en forteresse, et tâchant, par tous les moyens, de nuire à mes complices de trahison, pour les supplanter dans leurs places, et mieux profiter des largesses du rebelle. Je l’écoutai jusqu’au bout en silence, et me réjouis d’une seule chose : il n’avait pas prononcé le nom de Marie. Est-ce parce que son amour-propre souffrait à la pensée de celle qui l’avait dédaigneusement repoussé, ou bien est-ce que dans son cœur brûlait encore une étincelle du sentiment qui me faisait taire moi-même ? Quoi que ce fût, la commission n’entendit pas prononcer le nom de la fille du commandant de Bélogorsk. J’en fus encore mieux confirmé dans la résolution que j’avais prise, et, quand les juges me demandèrent ce que j’avais à répondre aux inculpations de Chvabrine, je me bornai à dire que je m’en tenais à ma déclaration première, et que je n’avais rien à ajouter à ma justification. Le général ordonna que nous fussions emmenés ; nous sortîmes ensemble. Je regardai Chvabrine avec calme, et ne lui dis pas un mot. Il sourit d’un sourire de haine satisfaite, releva ses fers, et doubla le pas pour me devancer. On me ramena dans la prison, et depuis lors je n’eus plus à subir de nouvel interrogatoire.