Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/30

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une telle misère, que Savéliitch lui-même ne le marchanda pas, suivant son habitude constante. Ses soupçons de la veille s’étaient envolés tout à fait. J’appelai le guide pour le remercier du service qu’il nous avait rendu, et dis à Savéliitch de lui donner un demi-rouble de gratification.

Savéliitch fronça le sourcil.

« Un demi-rouble ! s’écria-t-il ; pourquoi cela ? parce que tu as daigné toi-même l’amener à l’auberge ? Que ta volonté soit faite, seigneur ; mais nous n’avons pas un demi-rouble de trop. Si nous nous mettons à donner des pourboires à tout le monde, nous finirons par mourir de faim. ».

Il m’était impossible de disputer contre Savéliitch ; mon argent, d’après ma promesse formelle, était à son entière discrétion. Je trouvais pourtant désagréable de ne pouvoir récompenser un homme qui m’avait tiré, sinon d’un danger de mort, au moins d’une position fort embarrassante.

« Bien, dis-je avec sang-froid à Savéliitch, si tu ne veux pas donner un demi-rouble, donne-lui quelqu’un de mes vieux habits ; il est trop légèrement vêtu. Donne-lui mon touloup de peau de lièvre.

– Aie pitié de moi, mon père Piôtr Andréitch, s’écria Savéliitch ; qu’a-t-il besoin de ton touloup ? il le boira, le chien, dans le premier cabaret.

– Ceci, mon petit vieux, ce n’est plus ton affaire, dit le vagabond, que je le boive ou que je ne le boive pas. Sa Seigneurie me fait la grâce d’une pelisse de son épaule ; c’est sa volonté de seigneur, et ton devoir de serf est de ne pas regimber, mais d’obéir.

– Tu ne crains pas Dieu, brigand que tu es, dit Savéliitch d’une voix fâchée. Tu vois que l’enfant n’a pas encore toute sa raison, et te voilà tout content de le piller, grâce à son bon