cela. Pour Alexéi Ivanich, il est enfermé par mon ordre, et sous bonne garde, dans le magasin à blé, et son épée est sous clef chez Vassilissa Iégorovna. Il aura le temps de réfléchir à son aise et de se repentir. »
J’étais trop content pour garder dans mon cœur le moindre sentiment de rancune. Je me mis à prier pour Chvabrine, et le bon commandant, avec la permission de sa femme, consentit à lui rendre la liberté. Chvabrine vint me voir. Il témoigna un profond regret de tout ce qui était arrivé, avoua que toute la faute était à lui, et me pria d’oublier le passé. Étant de ma nature peu rancunier, je lui pardonnai de bon cœur et notre querelle et ma blessure. Je voyais dans sa calomnie l’irritation de la vanité blessée ; je pardonnai donc généreusement à mon rival malheureux.
Je fus bientôt guéri complètement, et pus retourner à mon logis. J’attendais avec impatience la réponse à ma lettre, n’osant pas espérer, mais tâchant d’étouffer en moi de tristes pressentiments. Je ne m’étais pas encore expliqué avec Vassilissa Iégorovna et son mari. Mais ma recherche ne pouvait pas les étonner : ni moi ni Marie ne cachions nos sentiments devant eux, et nous étions assurés d’avance de leur consentement.
Enfin, un beau jour, Savéliitch entra chez moi, une lettre à la main. Je la pris en tremblant. L’adresse était écrite de la main de mon père. Cette vue me prépara à quelque chose de grave, car, d’habitude, c’était ma mère qui m’écrivait, et lui ne faisait qu’ajouter quelques lignes à la fin. Longtemps je ne pus me décider à rompre le cachet ; je relisais la suscription solennelle : « À mon fils Piôtr Andréitch Grineff, gouvernement d’Orenbourg, forteresse de Bélogorsk ». Je tâchais de découvrir, à l’écriture de mon père, dans quelle disposition d’esprit il avait écrit la lettre. Enfin