Page:Pouget-Les Lois Scélérates de 1893-1894 - 1899.djvu/60

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un anarchiste et lui conseille de le remercier, — ce qui fut fait. Toujours brouillé avec sa famille, Girier quitte Lyon et, pourchassé par la police, il va de ville en ville, vagabonde dans la région du Rhône, où, au cours de ses pérégrinations, il récolte un an de prison, à la suite d’un discours en réunion publique. Il file alors vers le Nord et, sous le nom de Lorion, trouve à gagner sa vie ; son ardeur propagandiste lui vaut de la part des chefs collectivistes, une animosité sourde.

Au cours d’une manifestation à Roubaix, provoquée par l’enterrement d’un prolétaire qui, après avoir tué le directeur de l’usine Vanoutryve, s’était suicidé, Lorion grimpe sur le mur du cimetière, harangue la foule. Le lendemain, sous l’influence des collectivistes, un journal réactionnaire de Lille, la Dépêche, insinuait que Lorion devait être un agent provocateur. Quelques anarchistes — le calomnié était du nombre — vont le soir même aux bureaux de la Dépêche et, au refus de rectifier, répondent par des voies de fait… Des arrestations furent faites à Roubaix. Lorion, qui habitait Armentières, eut le temps de s’esquiver et, quinze jours après, par défaut, il était condamné à une douzaine de mois de prison.

Lorion, faisant peau neuve, alla s’installer au Havre, — sous un nouveau nom ; il s’y croyait en sûreté quand l’organe collectiviste de Lille, le Cri du Travailleur, rédigé par Delory, maire actuel de Lille, le qualifiait catégoriquement de mouchard et dénonçait son refuge, Le Havre. Sur quoi, oubliant toute prudence, Girier-Lorion prit le train pour Roubaix et organisa une réunion publique, convoquant ses dénonciateurs à de franches explications.

La veille de la réunion, la police découvrit son domicile et vint pour l’arrêter. Que faire ? Se laisser prendre, c’était accréditer les calomnies. Les collectivistes n’auraient pas manqué de conclure à une comédie combinée pour tirer Lorion d’un mauvais pas. Désireux d’éviter pareille interprétation, Lorion reçut les policiers à coups de revolver : il en blessa un, bouscula l’autre qui roula dans l’escalier et, l’enjambant, il galopa vers la frontière, peu éloignée. Les policiers lui firent la chasse, criant : « À l’assassin !… Il a tué sa femme !… » Il fut rattrapé à quelques centaines de mètres de la frontière.