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Page:Pouget-Les Lois Scélérates de 1893-1894 - 1899.djvu/61

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application des lois d’exception
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Quelques semaines après, Lorion-Girier passait aux assises et était condamné pour blessures aux agents à dix ans de travaux forcés.

Un peu plus tard on apprenait d’où était partie la dénonciation portée contre Lorion dans le Cri du Travailleur : en une réunion tenue à Lille (en décembre 1891), M. Delory dut avouer qu’il n’avait d’autre preuve des accointances policières de Lorion qu’une carte postale, mise à la poste de Bruxelles et signée « Boisluisant » — un individu qu’il avoua ne pas connaître. À cette même réunion, Delory dut avouer encore qu’il avait reçu une nouvelle lettre du « Boisluisant » dans laquelle ce personnage déclarait s’être trompé sur le compte de Lorion-Girier, regrettait de l’avoir accusé à tort et demandait qu’on insérât la rectification dans le Cri du Travailleur.

Ce qui ne fut pas fait.

Lorion fut embarqué à destination de Cayenne. En 1894, il eut la chance d’échapper au massacre des prisonniers anarchistes, — qualifié de « révolté » par l’administration pénitentiaire, — mais il n’en fut pas quitte ainsi : sous l’accusation d’être un des fauteurs de la révolte, il fut traduit en conseil de guerre et condamné à mort. Pendant huit mois, dans un cachot, il attend l’exécution. Enfin, au bout de huit mois,sa grâce arrive, — si on peut qualifier « grâce » ce supplice : cinq ans de réclusion cellulaire.

La réclusion cellulaire, c’est toujours la mort — mais plus affreuse que par la guillotine. Et depuis deux ans, Lorion-Girier endure ce supplice. Dernièrement, une note officielle le déclarait fou… Il est toujours au bagne. Ce malheureux, frappé pour ses convictions, victime de sectaires ombrageux autant que du Code, n’est-il pas un prisonnier politique ?

Me voici au bout de ma tâche. J’ai voulu dissiper documentairement l’illusion des hommes de bonne foi qui croient les lois d’exception de 1893–1894 inappliquées et inapplicables.

Les victimes sont là.

Émile Pouget