Il est inutile d’observer que cette morale est à l’usage exclusif des prolétaires, les riches qui la prônent n’ayant garde de s’y soumettre : l’oisiveté n’est vice que chez les pauvres.
C’est au nom des prescriptions de cette morale spéciale que les ouvriers doivent trimer dur et sans trêve au profit de leurs patrons et que tout relâchement de leur part, dans l’effort de production, tout ce qui tend à réduire le bénéfice escompté par l’exploiteur, est qualifié d’action immorale.
Par contre, c’est toujours en excipant de cette morale de classe que sont glorifiés le dévouement aux intérêts patronaux, l’assiduité aux besognes les plus fastidieuses et les moins rémunératrices, les scrupules niais qui créent « l’honnête ouvrier », en un mot toutes les chaînes idéologiques et sentimentales qui rivent le salarié au carcan du capital, mieux et plus sûrement que des maillons en fer forgé.
Pour compléter l’œuvre d’asservissement, il est fait appel à la vanité humaine : toutes les qualités du bon esclave sont exaltées, magnifiées et on a même imaginé de distribuer des récompenses — la médaille du travail ! — aux ouvriers-caniches qui se sont distingués par la souplesse de leur épine dorsale, leur esprit de résignation et leur fidélité au maître.
De cette morale scélérate la classe ouvrière est donc saturée à profusion.
Depuis sa naissance, jusqu’à la mort, le prolétaire en est englué : il suce cette morale avec le lait plus ou moins falsifié du biberon qui, pour lui, remplace trop souvent le sein maternel ; plus tard, à la « laïque », on la lui inculque encore, en un dosage savant, et l’imprégnation se continue,