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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/191

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IDYLLE SAPHIQUE

Venise ondoyante. Venise magique, Venise en or !… Un conte fabuleux d’amour et de sang, de vin rose, de fleuve enchanté qui entraîne au fond de ses eaux toute une succession de siècles légendaires… puis l’heure passe, le soleil disparaît lentement et semble une grosse boule de flamme qui s’enfonce sous les flots empourprés, incendiant l’horizon tout autour, inondant de splendeurs des mondes inconnus et inaccessibles… ensuite, plus rien ! Je détourne la tête et c’est l’obscurité… le clapotement des rames dans l’eau, des chants puissants de gondoliers, des cris d’appel, des bruits mats, sans échos… Alors je ne sais plus si je vis, si je songe… j’ai peur… je veux de la lumière, de la clarté, j’ai besoin de la foule… et je presse ta main, Tesse, pour te demander secours, afin que le son de ta voix me dégage de cette impression morbide.

— Et tout cela est mauvais pour toi… nuisible pour ta frêle sensibilité, répondit Altesse, partons bien vite !

Elles s’en furent à Naples, adorèrent Salerne, Amalfi, Sorrente.

— C’est ici le pays des dieux, disait Nhine, j’y reconnais ma Ville et ma Patrie ! Il me semble que j’y ai déjà vécu et que les temps que j’ai passés en l’infamie de cette trop mûre civilisation qui m’a blessée et touchée à jamais, n’est qu’un voyage pénible et prolongé dont je ne saurais guérir !

— Tes pensées sont folles, Nhine, fais les taire et