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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/192

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IDYLLE SAPHIQUE

admire plutôt les choses vivantes qui nous entourent. Qu’il y a donc de jolies fleurs ici, idéalement blanches, enivrantes à respirer ! Ces œillets blancs, ces fraisiers, si purs… si fragiles !…

Et cependant tellement profanés par les doigts sales de ces Napolitains des rues, songeait douloureusement Annhine qui n’osa plus s’épancher. Tesse l’entraîna dans quelques musées, à Pompeï :

— Vois, Nhinon, quoique muettes ces statuettes me parlent de toi ; leurs hanches sont les tiennes, leur nudité gracile ressemble à la tienne… c’est toi, Nhine, la Vénus au bracelet…

Mais Annhine ne s’intéressait plus aux choses réelles. Elle songeait sans cesse, absente, en recherche… sa pensée se portait vers une autre nudité, sœur de la sienne. Elle se disait qu’en ce cadre de soleil et de vie et de multiples décors on vivrait, nus, un délicieux roman d’amour et de voluptés étranges, inconnues, désirées !… oui, désirées, car maintenant elle voulait ardemment revoir Flossie. Languissante et déjà atteinte intérieurement par le mal qui la minait, elle était sans défense et s’attachait même à cette idée perverse qui avait servi de point de départ à une étape de grand bouleversement en sa vie, qui germait, latente, dans la solitude de cette séparation totale — et si brusque — de l’ambiance d’agitation et de joies bruyantes où elle avait vécu jusqu’alors. Elle ne raisonnait pas. Sans forces, elle se laissait aller. Elle voulait connaître, elle brûlait de