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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/196

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IDYLLE SAPHIQUE

terre et Nhine qui entrait reconnut l’écriture. Surprise de l’attitude d’Altesse, elle l’interrogea doucement, tendrement, de gentilles paroles venaient de son cœur à ses lèvres pour l’amie, la grande sœur en détresse. Sans explication elle avait tout compris. Altesse fronçait le sourcil, froide, hautaine, la bouche sèche et dure, elle voulut repousser la tendresse enveloppante de Nhine, puis tout d’un coup leurs larmes se mêlèrent :

— Ne pleure pas, mon aimée, je ne veux pas, c’est bon pour moi de souffrir… moi, la petite fragilité, la faible, la meurtrie, mais pas toi, la superbe, la splendide, la si forte ! Ah ! non !… On continuerait le voyage, on le rendrait sans fin. L’Italie, on en avait assez, et aussi de Venise avec ses cruels silences où l’on s’entendait trop soi-même. On irait en Espagne, c’était plus gai, plus vif, du rouge, du jaune, de l’or, des chevelures sombres, des yeux de flammes, des castagnettes, des toreros, puis elles pousseraient jusqu’au Portugal… Oui, c’est cela, et Tesse oublierait. Tout s’oublie.

Altesse eût un geste violent, ses grands yeux bleus si doux se foncèrent, elle prit Annhine sur son cœur, murmura quelques mots bizarres, heurtés, que Nhine ne put entendre, puis jamais plus elle ne prononça le nom de Raoul. Annhine se mit en quatre, hâtant toutes sortes de préparatifs. Elles partirent, traversant le midi de la France sans s’arrêter, fuyant ce monde bruyant et interlope qui grouille l’hiver