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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/197

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IDYLLE SAPHIQUE

aux bords ensoleillés de la Riviera et, quelques jours plus tard, elles débarquaient à Barcelone, gagnaient Madrid, pays nouveau pour elles, encore primitif, où tout ressort extraordinairement blanc dans la saleté des rues, dans la vivacité brouillante et empoussiérée.

Nhine se sentait animée, nerveuse, elle avait en tête mille projets, mille désirs. Il lui fallait du mouvement, du bruit, elle voulait distraire Altesse de sa peine et s’ingéniait à découvrir des dérivatifs, crispant ses nerfs aux heures de lassitude, allant quand même, redoutant pour elle et pour son amie la solitude des nuits, le calme, le silence, les instants d’isolement propices aux rêveries. Elle les connaissait trop bien ces heures de vague, de tristesse tendre, où avec la complicité des voiles adoucissants du crépuscule on se laisse aller bien loin, bien vite, dans les profondeurs infinies du songe, de l’imagination errante et éperdue, en quête, en mal de lassitude et de désespérance.

Un soir, accoudées à leur balcon, très près l’une de l’autre, elle demanda :

— Altesse, dis-moi ton cœur, maintenant, et l’effet que la vie extérieure et, en quelque sorte exotique d’ici, a pu produire sur toi ? Dis-moi, Tesse, veux-tu, ma chérie… et Annhine se faisait câline, suppliante, toujours un peu curieuse et attirée par le regard profond d’Altesse.

Altesse sourit au fin visage penché vers elle.