Aller au contenu

Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
IDYLLE SAPHIQUE

frère du roi, le cortège des gens de la cour. Nos deux amies furent aperçues et signalées… Une intrigue s’ébaucha qui leur procura quelque diversion ; de furtives invitations à la nuit, des rendez-vous clandestins au palais les amusèrent et leur fit aimer pour un moment Lisbonne. Elles brocantèrent un peu et purent aller à deux ou trois courses de taureaux, moins cruelles qu’en Espagne où c’est un vrai massacre qui les avait horrifiées. Altesse vivait pour son amie et Nhine semblait oublier un peu Paris et ses secrètes aspirations. Elle ne parlait jamais de miss Flossie et se laissait aller au plaisir de vivre joyeusement, recherchée et sollicitée de tous côtés, en beauté triomphante et unanimement célébrée. Mais elle dépérissait physiquement de jour en jour ; un tremblement nerveux s’emparait d’elle à tout propos, elle en arrivait à ne plus pouvoir tenir son verre en main. Si on fermait une porte tant soit peu fort, elle tressaillait ; le moindre bruit la faisait bondir ; elle parlait très vite, très haut, et ne tenait pas en place. Ses narines palpitaient et ses yeux agrandis lançaient des lueurs hagardes, brillantes, ainsi que les regards des morphinées. Elle se sentait prête à tout, plus forte, plus vive que jamais, puis d’autres fois elle restait immobile durant des heures entières, fixant le même point avec un sourire figé qui crispait sa figure froide et exsangue. On eût dit que rien ne pouvait alors la toucher… En d’autres instants elle semblait somnoler, pensive,