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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/216

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IDYLLE SAPHIQUE

— celle qui, à son gré, au tien, au mien, me torture ou me console. Lève les yeux de ton souvenir. Il faut regarder toujours très haut, souviens t’en et alors tu jouiras de pouvoir regretter les Chemins parcourus ! Les rêves planent et ne s’abaissent jamais ! Suis-les de ton regard, la Terre est ton ennemie. Ah ! la Terre !… Tu marches dessus, tu la souilles, tu l’ensemences et la fais germer ; un jour, en vengeresse, elle te recouvrira, t’étouffera, victorieuse, et t’enveloppera de sa noire humidité. Aussi, lève tes yeux, contemple les étoiles et passe… tu songeras avec douceur aux chemins jadis parcourus… à Toi qui fus ma blonde, à Moi, à Nous !

« Et les Blés humains, ils sont humains, les Blés — ce qui veut dire tendres et bienfaisants, d’après l’ironie convenue du dictionnaire, mais non d’après mon cœur désabusé — et les Blés que nous semons, qui croissent à notre gré et qui tombent sous nos faux en criant, dont la Gerbe desséchée nous nourrit après avoir été cruellement broyée, vois comme ils sont bons et bienfaisants et loyaux, peu humains alors, n’est-ce pas ? les Blés !… Les Blés m’environnaient ainsi qu’une mer immense, penchés, ployés, abattus par la force du Vent… et je fuyais, Flossie, toi qui fus mienne !… Des hurlements de chiens, le bruit de la voiture sous une voûte sonore, deux factionnaires qui interrogeaient du regard, un brusque arrêt… et me voilà de nouveau loin de Toi, bien loin… à Eux… à Lui… à Tous !

« J’ai voulu fixer un peu tout cela qui m’est passé dans l’esprit en ces heures d’union à travers les espaces