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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/217

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IDYLLE SAPHIQUE

pour te l’envoyer et… peut-être ? causer quelque plaisir… à qui ? à Toi ? à Moi ? à Nous !

Annhine.

P. S. « J’ai oublié de te dire qu’en regardant au ras de terre, le soir où la Lune boudait, sur la route poussiéreuse et souillée, je crus voir un corps de femme étendue en travers d’un tas de pierres, nue, frêle, offerte. Ce corps ressemblait au mien, à celui que tu désires… et les passants l’injuriaient, le violaient, le salissaient ainsi que la route, d’ordures, de crachats, de baisers, de morsures, de taches, de coups, de baves et de meurtrissures. Les pierres étaient plus — moins — humaines, puisque tel est le mot consacré par l’usage, servons-nous en ! Qui me voulait, m’avait. Nul ne voyait mes flétrissures, car la Lune boudait, invisible, et je pourrissais dans ma fange, sans force pour me relever, pour fuir ! En vain, j’essayai de m’accrocher aux quelques passants qui me semblèrent secourables, chacun me repoussait en se détournant. On se ruait sur moi, hommes et bêtes, et cela dura des siècles !…

« Je voulus me cacher sous ta chevelure, car tu vins aussi, mais tu passas après avoir effeuillé des fleurs au-dessus de mes paupières et de mon front, en unique pitié. Mes regards ne verront plus l’obscène, l’inique ; comme eux, mon front restera pur, parfumé de la senteur des feuilles pâles que ta main a versées sur moi, à foison. Et si elles se fanaient ? Reviendrais-tu m’en jeter d’autres ?… Non ! Fuis ! Passe ! Vole dans tes ailes d’ange. La rosée du ciel aura compassion et me les conservera fraîches et embaumées. Alors, que personne ne vienne m’arracher à ma torpeur, à la dou-