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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/220

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IDYLLE SAPHIQUE

petite morte, ma vie lui sera une longue prière d’actions de grâces, car j’ai hérité d’elle la note sensitive qui manquait à l’harmonie de mon amour. Par sa fin, j’apprends à mieux vivre, à mieux souffrir pour toi. Va, voyage ! Sois loin ou sois tout près, mon cœur ne te quittera plus, dusses-tu m’entraîner dans le dernier des enfers ou m’élever à la hauteur la plus inaccessible ! Il y a eu assez de temps déjà depuis ta lettre pour mille changements d’humeur, mais même maintenant, malgré que quatre jours aient mis leur barrière d’heures entre celle qui m’écrivait et celle qui m’oublie, je sens toujours ta pensée qui m’enveloppe !… L’imagination !… Quel bien pour celles qui ont perdu le trésor de la réalité et doivent se contenter d’un écho ! — Comment traduis-tu mes silences ? J’aime à croire que tu m’as sentie t’accompagnant partout… sans sommeil, la nuit, je te suivais ! Aidée par mes souvenirs de voyage, j’étais avec toi, en Italie surtout. Je ne connais rien de plus triste que ce pays, qui, en dérision d’un passé de splendeur, se nomme la « Bella Italia » ! Et c’est parmi ces ruines que tu es allée chercher la joie et le repos ? Ai-je tort de m’imaginer que tu t’y sentais inquiète, en nerfs, isolée ? Que de fois me suis-je dit : Là, sous le grand dôme d’une morte Église emplie de l’haleine des morts ; là, où les os des jadis grands se répandent en poussière et se mêlent au crépuscule d’un autre temps qui déjà se termine, elle aura peut-être envie de quelque chose de tiède, de doux, de vivant, à elle, d’une voix dans le silence, d’une vibration mystérieuse et aimée parmi tout ce qui se tait ; ou bien regardant là-haut, par une des rares fenêtres s’ouvrant sur l’infini, sa lassitude la fera un