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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/219

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IDYLLE SAPHIQUE

craintes ; saurai-je captiver assez cette vagabonde, ou, avide de l’intangible éphémérité, s’en ira-t-elle toujours plus loin ?… Ailleurs ?… Non ! n’est-ce pas ? Je crois sentir que désabusée, meurtrie, tu me reviendras toute entière et que mon immense amour m’apprendra à te garder. Ah ! darling ! Les heures que je rêve avec toi !… Les heures ! Les vies ! Les éternités !… Tu es bien la sœur de mon âme, et rien ne peut rompre ni défaire ce lien. Nous sommes unies dans le mystère de l’infini ! Je t’ai retrouvée. Vainement tu as essayé de me fuir car tu dois me revenir et être à moi. Tout t’y poussera, une force invisible t’attirera vers moi, m’aidant. Ta pensée m’est déjà un retour et pour bercer mon impatience, in the meantime[1], j’ai mes souvenirs ! Mes espoirs aussi !… Comme j’y tiens, à notre doux petit passé. Je m’y cramponne ainsi qu’un enfant auquel on veut arracher son jouet ! J’aime jusqu’à cet épisode tragique qui en précipitant ton départ a si brusquement mis fin à notre première page d’amour ! Laisse ta pensée longuement sur tout cela : Vois la mort volontaire de Jane dans un endroit où chacun, sauf elle, portait un masque. Elle a joué sa vie sur un sentiment, un grand, un noble puisqu’il l’a élevée au-dessus de la loi de conservation que la foule dit la plus forte. Elle a vu tout ce qui lui donnait envie et joie de vivre réduit en cendres, et nous devons l’admirer de n’avoir plus voulu marcher sur une terre stérile, inféconde d’espoirs. Combien mieux vaut-il se donner la mort à temps que d’assister à l’ensevelissement du meilleur de soi-même que l’on n’ose suivre, inaction digne d’un lâche. Chère

  1. En attendant.