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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/256

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IDYLLE SAPHIQUE

Et ce fût alors entre eux un amour sans nuages, des joies sans pareilles, des bonheurs sans retour.

Partout ils se retrouvaient : le matin, dans ce Bois en lequel ils chérissaient le souvenir de leur première rencontre, puis, à cinq heures, Nhine rentrait voir si son petit homme, son Momo ne viendrait pas, comme par hasard après un examen, entre deux cours, puis, avant le dîner, un bonsoir… Le matin très tôt, à l’heure où tout le monde dormait encore, il arrivait, c’était lui qui éveillait Nhine, il lui donnait son bain, elle se levait devant lui. Il adorait l’heure de la toilette, où la jolie femme, seule avec lui, s’habillait sous ses yeux. Oh ! comme il l’avait bien à lui, le matin. Le soir, c’étaient de tristes heures. Comme il n’avait plus sa mère — elle était morte très jeune d’une sorte de consomption — et que deux de ses petites sœurs n’avaient pu vivre, atteintes du même mal au printemps de leur vie, que lui-même était faible, délicat, son père le tenait beaucoup, veillant sur lui avec un soin extrême, l’autorisant rarement à sortir le soir, restant avec lui ou le confiant à un précepteur en qui il avait toute confiance. Alors, en ces longues soirées passées loin d’elle, Maurice s’énervait. Inquiète et jalouse, sa pensée allait à Nhine et se forgeait de chimériques tableaux. Il se la représentait, joyeuse et entourée, parée et jolie, en des théâtres, en des soupers où chacun pouvait l’admirer, jouir du spectacle de sa beauté… puis d’autres fois, il la voyait chez elle, en ce cadre troublant qui faisait