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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/260

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IDYLLE SAPHIQUE

haut, agitant nerveusement le petit pied cambré. Tesse l’examinait, amusée :

— Oui, tu es drôle comme tout, un ravissant petit trottin. Le noir te va, il te fonce les yeux, tu as l’air d’une vraie brune.

— J’ai accentué le rouge de mes lèvres, j’ai peint mes joues, marqué mes sourcils, je suis un peu en retard à cause de tout cela, je voulais la perfection ! Tu ne m’aurais jamais reconnue dans la rue, pas vrai ?

— Jamais, dit Tesse, où allons-nous ?

— Là bas, plus loin que la place de la République, viens vite, chérie, on laissera la voiture un peu à l’écart, on ira à pied rigoler, une bonne gouape enfin, on s’amusera, prenons l’âme de deux petites ouvrières en ballade. Mets un collet, ton vieux beige, un canotier aussi, c’est Pâques dans trois ou quatre jours, tu peux sortir avec un paillasson. Là !… chic !… Poudre tes cheveux afin de les faire plus lâches, puis fais-toi des bandeaux. Enlève tes bijoux. Je te permets une grosse broche en or, c’est tout, tu es très bien ainsi. Partons !…

Elles étaient dans la foule, une heure après, bras dessus, bras dessous, s’amusant comme des folles. Annhine était d’une gaieté exubérante, riant de tout, à tous. Dès leur arrivée, elle avait fait la conquête d’un vieux qui les suivait partout, leur offrant à boire. Elles essayèrent ; les tourniquets n’ayant pas de chance elles coururent vite au manège des lapins.