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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/323

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IDYLLE SAPHIQUE

jamais on n’ira dans les pays où le froid mord, où il neige.

— Chérie, tu vas te fatiguer, tais-toi.

— Non, écoute… — elle reprenait plus bas : — un beau yacht, immense, fugitif, pas de maison nulle part, pas de pays, notre caprice, tout l’univers sera notre patrie, ou bien encore : une roulotte, quelque chose d’épatant, de bien aménagé, de confortable, de chic, où l’on vivra un jour ici et le lendemain là… dans les villages, dans les forêts, au soleil toujours !… Je ne sais pas si tu es comme moi, mais je rêve d’un pays où il ferait trop chaud… Allons, mes bas, ma robe de chambre !… en rose, tout en rose !… — elle l’observait. — tu as l’air d’hésiter, mais on me l’a permis, demande, Ernesta le sait bien.

Sans trop de difficulté elle parvint à enfiler ses bas :

— Ah ! mes jambes, mes pauvres petites jambes !… plus de mollets !… Bast ! on refera tout cela !… regarde, c’est drôle !

D’un mouvement du doigt elle balançait la chair vidée, flasque, qui ballottait :

— Encore quelques nuits de sommeil comme les trois dernières ! Ah ! quel délicieux sommeil !… Je rêvais cependant, de quoi ?… de quoi ?… Ah ! oui, c’était de l’eau… sombre… le soir… un grand étang et de beaux nénuphars… Tu voulais les cueillir et moi aussi, on se penchait, on se penchait… les fleurs s’éloignaient, insaisissables, puis au moment où