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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/334

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IDYLLE SAPHIQUE

s’arrêta une jambe levée, le nez en l’air : comment parvenir jusqu’à Nhine ?… voilà le hic !… vite elle se ravisa : bah ! je trouverai bien !… Elle poussait le fatalisme jusqu’à la négligence de toute gênante préoccupation : habillons-nous et sortons, quelque chose d’heureux viendra bien me mettre sur le chemin !… S’habiller ne fut pas chose aisée, ni prompte, mais enfin, grâce à l’aide de la femme de chambre, qu’elle sonna énergiquement, voulant éviter les retards, elle en vint tout de même à bout. Déjeuner ?… elle y songeait bien vraiment ! plus tard cela, plus tard. C’était un détail facilement négligeable, cela ! la joie soutient. En s’en allant… — où ?… dehors, elle ne savait au juste, mais bien qu’invisible son étoile la guiderait — en s’en allant elle ne pût s’empêcher de sourire à l’aspect d’inextricable fouillis de sa chambre.

C’était un véritable capharnaüm : des piles de livres s’étageaient à terre, par-ci, par-là, d’autres traînaient ouverts, des papiers encombraient tout. Pêle-mêle, des photographies sollicitaient la faveur d’un regard : la nudité délicieusement jeune de Mebbaï dans plusieurs poses s’étalait sur une table ; vers quelque invisible amant Naléry étendait ses bras hors d’une draperie grecque ; Sarah, la divine, hautaine et fébrile, dans un enroulement de brocarts et d’orfèvreries, commandait d’un geste cruel la mort de quelque héros de drame ; Mary Anderson, les grands yeux perdus dans l’espace, les mains à ses genoux, semblait paisiblement confiante en sa beauté.