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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/86

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IDYLLE SAPHIQUE

les pièces d’or et la monnaie blanche entre les mains.

Une heure après, nos deux amies roulaient au travers du parc de Saint-Cloud.

— Que je me sens près de toi, Nhine, ma jolie, mon cher trésor fragile… Quel terrible spectacle de misère !

— Vrai ! Je ne pense plus à ma sauterelle ni à mon capillaire… mais je suis triste, Flossie. La vie est mauvaise, cruelle, vois ces pauvres gens… je me sens toute remuée, j’ai eu des jours de misère, moi aussi. Ce n’est encore rien lorsqu’on est jeune… maintenant c’est plus affreux, je n’ai aucun besoin matériel, mais la misère de mon cœur est si grande… ma vie est tellement vide…

— Je suis là pour la remplir désormais… et Florence, les larmes aux yeux, se blottissait dans elle.

— Et tiens, ces grands arbres sans feuilles m’attristent, ils sont comme des spectres énormes aux membres calcinés et bizarrement allongés… ces tapis de mousse me semblent des tombeaux. Ah ! Flossie, rentrons, je frissonne, je voudrais pleurer, pleurer sans m’arrêter, mes nerfs sont tendus… disloqués… ah ! partir bien loin, au bout du monde… ou plutôt mourir.

— Et je crains d’être trop ton âme-sœur pour te faire du bien… de trop te comprendre pour pouvoir te consoler. Secouons-nous, Annhine, cherchons à sortir entièrement de nous-mêmes. Quand on est triste, il est si salutaire de perdre son individualité. C’est