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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/92

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IDYLLE SAPHIQUE

— Il se fait tard. Il faut partir… rejoindre la voiture… notre gondole ! Ah ! Nhine, unissons nos lèvres.

— Je me sens autre. Tu me fais entrevoir tant de choses insoupçonnées jusqu’alors…

Elle chantonna pour échapper à son impression morbide : Et rentrons au clair de la lune !

— La Lune !… cette Âme de la Nuit ! Vois comme elle est blanche et sereine, ce soir… elle s’est dégagée des nuages et plane, nous donnant une sensation de paix, de calme et froide spectatrice des luttes terrestres. Écoute-la, ma Nhine, elle te trahira le secret de mon cœur, l’illusion de mes songes que je lui conte parfois le soir, quand elle glisse ses rayons au travers de ma fenêtre pour venir me visiter et m’éclairer en pitié de ma peine. Elle ment et me promet alors mille délices… Ah ! Nhinon !

— Que tu dis de jolies choses, Flossie, petit satyre, petite sirène… tu me grises, viens, rentrons, je frissonne. J’ai peur de tout, de tes mots, de la lune, des ténèbres, des eaux miroitantes, des arbres… de tes caresses… de toi !…

Elle précipita ses pas et parvint enfin à sa voiture. Flossie se plaça près d’elle… elles rentrèrent sans dire une parole.

À la porte :

— Je suis lasse, Flossie, très lasse. Je vis dans un monde imaginaire, irréel. Je ne sais plus qui je suis ni où je suis. Au revoir !