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Lettres de la Comteſſe

tendreſſe ; mais me voilà ſéparée de toi ! fatale penſée !… C’eſt donc de trente lieues que je t’écris ? Que cet eſpace me paroît immenſe ! que l’idée que je m’en forme eſt cruelle à mon cœur ! Si loin l’une de l’autre !… Eh ! que ſera-ce dans trois mois lorſque tu ſeras retournée chez ton pere ? Hélas ! nous ne nous reverrons peut-être jamais. Notre ſeule reſſource ſera donc de nous aimer toujours. Foible conſolation lorſqu’on n’a plus ce plaiſir enchanteur de s’embraſſer en ſe ſerrant tendrement !

Qu’il eſt gracieux, ma chere, de voyager en poſte ! On m’a beaucoup ménagée dans la route ; & cependant je ſuis arrivée hier avant ſept heures du ſoir. Le château de Nogent eſt dans une ſituation charmante. Mon grand-papa & ma grand’maman étoient à une croiſée pour me voir arriver. Ils ont apperçu la chaiſe de très-loin. Auſſitôt, ces bons & chers parens, pour me voir plutôt, ont quitté la fenêtre ; & quoique le ſoleil fût brûlant, ils ont traverſé deux grandes cours, & je les ai trouvés à m’attendre à la porte du château. J’ai éprouvé à ce moment combien il eſt doux d’avoir des pere & mere : eux qui ne ſont que mes aïeuls, m’ont fait ſentir ma perte[1] par leurs careſſes redoublées, leurs tranſports, par la joie tendre & vive qui pétilloit dans

  1. Mademoiſelle de Plounai avoit perdu ſes pere & mere à l’âge de huit à dix ans.