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PREMIÈRE ANNÉE — No 1.
JUIN 1913
POUR LES FEMMES
ORGANE MENSUEL

ABONNEMENT
1 franc par an
DIRECTRICE
H. MIRABAUD-THORENS
VILLA KATTENDYKE
GÉRARDMER

Ce que sera notre Journal

Pourquoi, dira-t-on, créer un nouvel organe de revendications féminines ? N’en existe-t-il pas déjà plusieurs ? Les lecteurs semblent manquer à la cause féministe plus que les écrits périodiques. Ne vaudrait-il pas mieux faire de la réclame en faveur des journaux existants, leur trouver des abonnés, des propagandistes, plutôt que de leur créer une concurrence ?

Nous répondrons que notre but, en fondant cette modeste feuille, n’est pas de faire une concurrence aux feuilles féministes déjà existantes, mais, au contraire, de donner une plus large publicité aux articles qu’elles font paraître, en choisissant les plus intéressants et en en reproduisant des fragments dans notre bulletin. Nous espérons atteindre un plus large public en mettant notre petit journal au prix très restreint de 1 franc par an. Nous nous efforcerons d’épargner l’ennui à nos lecteurs. Nous ne viserons point à donner de l’inédit, mais à recueillir de ci de là les pages colorées ou vibrantes qui mettent en lumière les conditions sociales et économiques de la femme dans les différents pays. Nous tâcherons d’émouvoir le lecteur par la peinture de ses souffrances et de ses misères, afin que chacun ait à cœur de faire cesser les maux et les iniquités dont elle souffre.

Nos revendications ne seront point violentes ni révolutionnaires. Nous pensons mieux servir notre cause par la modération. Nous ne rêvons pas de bouleverser la société au profit de la femme, ni de réclamer pour elle des droits exagérés. Nous demandons seulement que justice soit rendue à une moitié de l’humanité.

Séparateur

La prétendue inégalité des sexes




L’Indépendant, de New-York, publie dans son no  du 20 mars un article de Jean Finot, qui tend à détruire bien des préjugés concernant les soi-disant inégalités des sexes. Nous en donnons ici un résumé, paru dans la Revue :

Un phénomène nous frappe lorsque nous considérons les relations réciproques de l’homme et de la femme.

Nourris par des préjugés vénérables, ils se considèrent presque comme des représentants de deux humanités différentes.

Non seulement l’homme considère la femme comme un être inférieur, mais la femme elle-même partage cette façon de voir.

Tout ce que la femme a écrit sur elle-même nous offre sous ce rapport des affirmations bien troublantes.

Les plus géniales parmi elles n’ont jamais pu se considérer autrement que comme des monstres bienfaisants.

Avec une unanimité touchante, elles avouent que la femme n’a ni l’esprit créateur, ni l’esprit critique qui frise à son tour l’acte de création.

Car, à vrai dire, la femme est capable d’accomplir toutes les besognes sociales et politiques qui sont aujourd’hui dans le domaine de l’activité de l’homme.

Dans presque tous les pays, la femme de l’ancien temps a vécu. Elle a perdu maintes de ses qualités d’autrefois et gagné des vertus nouvelles. Elle a même contracté des modes de penser et des habitudes différentes.

Tous ceux qui nient ce mouvement grandiose n’ont en vue que les professions intellectuelles.

Les quelques centaines de femmes doctoresses ou avocates leur cachent des millions de femmes travaillant dans l’industrie, dans le commerce et dans l’agriculture.

Ils ressemblent un peu à cet observateur dont parle le fabuliste qui entrant dans un jardin zoologique, n’y apercevait que des insectes, sans y voir des lions ou des éléphants.

Or, il n’y a rien à faire contre cette révolution.

Lorsqu’on passe en revue la science contemporaine, on s’aperçoit, il est vrai, que celle-ci n’est point tendre pour elle.

La biologie, la sociologie, de même que la morale ou la psychologie, avec un ensemble touchant, lui dénient maintes qualités qu’elles octroient généreusement à l’homme.

Pourtant, lorsqu’on examine de plus près leurs affirmations, on constate qu’il ne s’agit là que de vieux préjugés que rien ne justifie. Car il y a des préjugés scientifiques comme il y a des superstitions religieuses. Les deux se valent.

Lorsqu’on oppose aux vieux raisonnements des savants, les simples déductions de la logique, l’aspect de la question change, le bâtiment des vieilles conclusions s’écroule et un spectacle nouveau s’ouvre devant nos yeux.

Non ! aucune des sciences ne peut prouver que la femme a un autre cerveau que l’homme.

Nous rencontrons depuis des siècles le même reproche adressé à la femme qu’elle n’a pas le moindre don de l’invention. Je me suis adressé aux offices des brevets des différents pays et j’y ai relevé, à ma grande stupéfaction, une quantité de brevets pris au nom de femmes. Leur nombre augmente tous les ans, de même que les qualités et la valeur des inventions.

En étudiant l’histoire des sciences, on relève le rôle énorme joué par la femme. Sans parler de l’antiquité, nous voyons dans les temps modernes des femmes qui atteignent au plus haut sommet de la valeur scientifique de l’homme.

Sophie Germain est une des créatrices de la physique mathématique ; des femmes comme Caroline Herschel, Mme Sommerville, Lady Huggins qui a tant contribué à la création de la science astrophysique ayant pour objet la structure des étoiles, Sophie Kovalevsky, Mme Curie et tant d’autres, ne laissent point de doutes au sujet de la capacité intellectuelle de la femme.

Elle occupe également une place brillante dans les lettres. Lorsqu’on réfléchit sur les dates récentes de l’instruction féminine de même que sur les entraves opposées de tout temps à l’émancipation de sa personnalité, on reste plutôt étonné devant les résultats obtenus par les femmes. Et alors on ne doute point ni de ses capacités ni de sa valeur.

L’homme aurait même tort de revendiquer pour lui le privilège exclusif de pouvoir être soldat.

L’histoire du passé est pleine d’enseignements qui nous prouvent que, dans ce domaine encore, la femme a su égaler l’homme.

En un mot, les femmes sont égales à l’homme, tout en n’étant pas identiques. Et ce postulat devrait guider toute la politique sexuelle.

La femme a sa personnalité biologique comme elle a une mission noble et grandiose à remplir sur la terre.

Les deux sexes auront toujours tort de vouloir opposer leur valeur et leurs qualités. Ils se valent, mais ce n’est que dans une union complète de leur travail et de leurs sentiments qu’ils pourront accomplir la grande œuvre imposée par la Providence.

Paraîtra dans le prochain numéro, le beau roman d’Albert-Émile Sorel, « L’ÉCUEIL ».

Guerre ou Paix

Mieux vaut une guerre pour la justice qu’une paix dans l’injustice.
PÉGUY.

Certes, la guerre est l’épouvante des mères et des épouses, mais les Françaises doivent aujourd’hui fortifier leur cœur contre une dangereuse sensibilité. Celles-ci ont mieux à faire que de bêler à la paix. La paix, les femmes la désirent, mais elles ne la veulent pas achetée au prix de l’injustice et de la honte. Ce n’est pas en ce moment où nos ennemis de l’Est nous menacent que nous, femmes de France, iront par nos paroles, par nos démarches et par nos pleurs, amollir le courage de ceux qui ont leur foyer à défendre. Car la guerre, la guerre terrible, est pourtant l’ultime sauvegarde de nos demeures et de nos familles.

Nous relirons les vers où Déroulède montre le mal fait à la Patrie durant l’année terrible par la faiblesse des mères.

Certes il en est venu que leurs mères en larmes
Avaient éperduement bercé dans leurs frayeurs
S’ils furent bons français malgré les cris d’alarmes
Ah ! comme un cri d’espoir les eu rendus meilleurs.
Comme ils auraient marché, vaincu peut-être
Ah ! que de vrais soldats les mères nous ont pris !

Depuis 1870, notre frontière de l’Est est ouverte ; quelques journées de marche séparent seulement la chaîne des Vosges de la capitale de la France, et nos ennemis se vantent de pouvoir, vu la faiblesse numérique de nos troupes, bousculer notre mobilisation, disloquer notre armée de défense avant même qu’elle se soit formée, et atteindre Paris après une seule victoire. Le gouvernement a vu le péril ; il a compris que la sécurité de la Patrie exigeait le renforcement de nos bataillons de l’Est ; de là le projet de la loi de trois ans.

Nous n’irons pas, nous femmes de France, faire campagne contre une mesure aussi évidemment nécessaire, et nous blâmerons de toutes nos forces celles d’entre nous qui choisiraient cet instant critique pour parler d’arbitrage et de congrès de la paix. Le moment n’est pas venu ; ce n’est pas aux vaincus de 70 à faire les premières avances et celui-là est mal placé pour parler de concorde qui vient d’être battu et volé. Aussi nous semble-t-il honteux qu’il y ait eu quatre fois plus de Français que d’Allemands au congrès pacifiste de Berne.

Commencez, messieurs les Allemands. Tendez les premiers la main, ou plutôt ouvrez-la pour restituer ce que vous avez pris, ce que vous retenez si durement et si injustement ; l’Alsace rendue, nous pourrons causer de la paix.

Au lieu de détourner les hommes d’un devoir nécessaire, nous les aiderons à le remplir. Nous adhérerons au programme de Mme Dieulafoy ; en temps de guerre nous nous engagerons comme auxiliaires dans les bureaux de l’intendance, et dès maintenant nous suivrons à cet effet des cours préparatoires. Beaucoup d’entre nous n’ont pas attendu le moment présent pour apprendre à soigner les blessés ; les infirmières manquent encore. Enrôlons-nous plus nombreuses dans ces bataillons de la charité. Panser les plaies, c’est le service naturel des femmes en temps de guerre.

À propos
du Suffrage des Femmes




Nous résumerons, dans ses grandes lignes, ce que nous entendons par le suffrage des femmes, en donnant quelques extraits d’une conférence prononcée à Paris, le 5 mai 1912, par Mme Robert Mirabaud.

Mesdames et Messieurs,

Le sujet dont je vais vous entretenir est du domaine de la politique ; cependant je ne ferai pas de politique, en ce sens que je ne me placerai pas au point de vue d’un parti politique quelconque. Mon unique ambition est de répandre une idée qui me paraît juste et propre à améliorer notre état social.

S’il m’arrive de critiquer des lois qui ont été faites par des législateurs du sexe masculin, je prie messieurs mes auditeurs de ne voir là de ma part aucune mauvaise disposition à leur égard. Je rend pleinement justice aux nombreux mérites des hommes et je serais désolée de paraître animée envers eux d’un esprit d’hostilité qui n’est le mien en aucune façon. Si je conseille aux femmes de se donner quelque peine pour le bien social, de s’aider elle-mêmes pour la réalisation de réformes qui semblent utiles et que vous leur avez, Messieurs, un peu fait attendre ; si je leur dis, en résumé : aidez-vous, Mesdames, les hommes vous aideront ; ne trouvez là, je vous prie, Messieurs, aucun parti pris, aucune excitation à la révolte, aucun désir de transformer vos aimables épouses en énergumènes du genre des suffragettes anglaises qui font le coup de poing à Londres avec les policemen.

Étudions donc ensemble, Mesdames et Messieurs, bien paisiblement et d’un bon accord, la question pour laquelle nous sommes ici réunis, en laissant de côté tout point de vue mesquin de vanité masculine ou féminine et en nous attachant seulement à la recherche de la vérité et de la justice.

Vous savez qu’en France et dans la plupart des autres pays, ce sont les hommes seuls qui ont le droit de vote.

Pourquoi cette inégalité ? Est-elle due à la supériorité de l’homme sur la femme ? L’homme est supérieur en certains points, inférieur en d’autres. La nature de l’homme et celle de la femme sont différentes. En général l’homme est capable de fournir un plus grand travail intellectuel et un plus grand effort physique que la femme. Par contre, celle-ci a souvent plus de sensibilité et de délicatesse.

Les femmes sont capables de remplir avec succès, la plupart des carrières ; elles sont bonnes commerçantes, bonnes employées, elles font de bons docteurs,