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POUR LES FEMMES

de bons avocats. Pourquoi ne seraient-elles pas capables de voter ? Que faut-il pour voter ? du bon sens et de la sagesse : ce sont là deux qualités éminemment féminines ; la femme est plus sage que l’homme. Qui voit-on le plus souvent dans les cabarets gaspiller l’argent de la famille et laisser sa raison au fond d’un verre ? Est-ce la femme ou est-ce l’homme ? Les élections auxquelles les femmes prendraient part n’auraient pas pour principal soutien le marchand de vin. Elles ne pourraient qu’y gagner.

Aujourd’hui les femmes étant exclues du vote, c’est la moitié du pays qui ne se trouve pas représentée dans le Parlement.

On objecte : « Si les femmes ne votent pas directement, leurs maris votent pour elles ; une épouse adroite et aimée influence son mari et elle le fait voter comme elle lui fait faire beaucoup d’autres choses ». Je ne dis pas que cela n’arrive pas quelquefois, mais en général un homme a sa volonté et il a bien raison de l’avoir : il ne fait pas toujours ce que veut sa femme ; d’autre part, les veuves, les femmes non mariées n’ont, elles, aucun moyen direct ou indirect d’exprimer leur avis : leur opinion n’existe pas. Étant donné que nous sommes sensés avoir le suffrage universel, il est bien extraordinaire qu’une si grande partie de la population française ne puisse contribuer à nommer ceux qui nous gouvernent, ni donner son avis sur les lois les plus importantes de notre pays. La femme, entend-on dire parfois, ne peut prétendre à voter, puisqu’elle ne fait pas le service militaire. Quel étrange raisonnement ! C’est comme si l’on disait aux hommes : Vous ne pouvez être électeurs car vous n’endurez pas les souffrances de l’enfantement, ni les pénibles soucis de la maternité.

On réplique encore : « Mais la femme, la femme française, ne tient pas à être électrice, elle s’occupe de son intérieur, elle ne s’occupe pas de questions sociales. Qu’elle élève bien ses enfants, qu’elle fasse bien marcher le ménage, c’est tout ce qu’on lui demande, et c’est tout ce qu’elle demande ».

Il est vrai, je le reconnais, que les dispositions d’esprit de la femme française sont souvent telles. Mais n’est-ce pas là un tort ? Le monde est aujourd’hui mené comme un ménage de garçons[1]. L’État vit en célibataire. La femme, cependant, sur bien des points, pourrait rendre à l’État d’importants services. Est-ce que toutes les lois qui concernent l’hygiène ne seraient pas mieux comprises par la femme que par l’homme ? Est-ce que dans un ménage c’est le mari qui s’occupe du nettoyage, de la propreté, de la cuisine, des soins à donner aux enfants ? Est-ce que, pour tout ce qui touche l’enfant, ce n’est pas l’avis des femmes qui devrait prévaloir ? Les femmes devraient toujours être consultées pour les questions de charité ; elles ont souvent le cœur plus tendre que les hommes. Elles devraient jouer un rôle important dans les bureaux de bienfaisance. Je connais des quartiers de Paris où les secours sont bien mal distribués. Comment la femme pourrait-elle se désintéresser de tout ce qui touche la charité et l’enfance. Lui sera-t-il indifférent de savoir ce que son enfant apprend à l’école ? N’aura-t-elle rien à dire sur les programmes ?

Femmes de France ! Une guerre éclate, vos fils, vos maris partent pour la frontière ; ils sont blessés, tués et, dans la décision tragique qui a été prise, dans ces événements qui vous touchent au plus profond du cœur, vous n’avez pas eu un mot à dire ! Des impôts de toutes sortes sont établis et perçus : taxes de douane, d’octroi, contributions directes et indirectes, patentes, droits de succession, etc., etc… Femmes vous payez tout cela comme les hommes ; l’État prend bien votre argent, mais il ne prend pas votre avis.

Votre travail ! Le travail à l’aiguille est-il payé comme il devrait ? Voulez-vous quelques chiffres éloquents ? Un des grands magasins de Paris paie 0 fr. 30 la façon d’un gilet d’homme ! L’ouvrière ne peut en faire que trois par jour ! Les draps à jour à la main sont payés 0 fr. 35 l’un. On ne peut en faire que trois dans la journée. Pour des pantalons d’homme, dont on fait deux ou trois par jour, le prix de façon descend à 1 franc 10, 1 franc, 0 franc 90 et même 0 fr. 60. La fleuriste est payée 0 franc 20 pour une grosse de pâquerettes : 144 fleurs pour quatre sous ! [2]. Pour un travail égal à celui de l’homme, la femme est payée moins que lui. Les institutrices, les employées des postes, les employées des chemins de fer de l’État ont, à travail et mérites égaux, des salaires et des retraites inférieures à ceux des hommes. Il en est de même pour les femmes qui sont au service des particuliers ou des sociétés. Femmes on abuse de vous, parce que vous ne nommez pas les députés. Devenez électrices, on aura pour vous du respect et l’homme s’occupera de vos souffrances dont il se rit aujourd’hui.

Les lois qui laissent le séducteur d’une pauvre fille, ouvrier ou bourgeois, se promener librement au soleil, tandis que celle qu’il a rendu mère est écrasée sous le poids de sa maternité, de sa honte, et sous la charge trop lourde de nourrir un enfant, alors que son travail ne suffit pas à la nourrir elle-même ! Ces lois sont-elles bien faites ? N’y a-t-il rien à y changer ? Une loi sur la recherche de la paternité ne devrait-elle pas être votée depuis longtemps ? Les prisons, comme Saint-Lazare, à Paris, où l’on entasse pêle-mêle, au bon plaisir de messieurs les agents des mœurs, de pauvres fillettes étourdies, égarées peut-être un moment, avec des femmes accoutumées à la boue, devraient-elles exister ? Le Gouvernement ne devrait-il pas tout mettre en œuvre pour abolir les abominables pratiques de la traite des blanches. Pourquoi la règlementation des mœurs s’exerce-t-elle sur les femmes seulement : si la femme est surveillée au point de vue de la santé publique, pourquoi l’homme ne l’est-il pas ? [3]. Des femmes s’occupent actuellement de ces questions troublantes mais combien difficilement elles obtiennent la moindre réforme ! Aussi ont-elles compris qu’elles n’obtiendraient gain de cause que le jour où les femmes voteraient ; en sorte qu’aujourd’hui les femmes dévouées qui s’occupent du relèvement de leurs sœurs en péril, sont de zélées propagandistes du suffrage féminin.

Des fillettes de treize ans devraient-elles être astreintes à des travaux dont la durée et la rigueur les épuisent souvent ? Je sais combien cette question de la durée du travail des enfants est difficile à régler, combien elle est complexe. Mais une considération devrait primer toutes les autres : la santé des jeunes. Un cœur de femme saigne, quand il voit dans les faubourgs de Paris de pauvres petites épuisées par un labeur écrasant pour elles, et cela à l’âge où elles auraient besoin de grandir, de se fortifier, de préparer à la nation des épouses, des mères saines et vigoureuses. Souvent la loi Millerand n’est même pas appliquée. J’aurais confiance dans la bonté du cœur féminin pour améliorer ce pénible état de choses.

Les femmes, si elles votaient, laisseraient-elles subsister le fléau de l’alcoolisme, elles qui sont les premières à en souffrir. Laisseraient-elles ouverts les six cent mille cabarets qui guettent l’ouvrier au passage ? Ne voteraient-elles pas de suite pour des candidats demandant la limitation des débits, la suppression de l’absinthe ? Laisseraient-elles quelques gros bonnets industriels, quelques grosses sociétés fabriquer avec la betterave et la mélasse, avec les blés et les chiffons avariés, sous le nom fallacieux d’ « alcool industriel », des millions d’hectolitres d’alcool de bouche à bon marché qui empoisonnent notre race ?

Quand on songe à toutes les souffrances que les femmes endurent par suite de l’alcoolisme de leurs maris, on s’étonne qu’elles ne soient pas déjà parties en guerre contre ce vice qui détruit le bonheur et la vie même du foyer. Souvent le salaire de l’homme est gaspillé en boissons, il n’en rapporte qu’une faible partie au logis, et, pendant que l’homme boit, la femme et les enfants ont faim ! Les petits sont mal vêtus ; s’ils tombent malades, l’argent manque pour appeler le docteur, et dans les logis sordides et désolés, pendant que le père est au cabaret, les petits enfants agonisent !

C’est pourtant ce père, hélas trop souvent indigne, qui est le maître absolu des biens de la communauté. Les biens meubles de la femme peuvent être vendus par le mari suivant son bon plaisir. Les économies réalisées par le travail des époux réunis, sont à la disposition de l’homme seul. Là où il n’y a pas un contrat de mariage spécial, c’est-à-dire dans l’immense majorité des cas, il en est ainsi. Il n’y a pas longtemps encore, la femme ne pouvait préserver son propre salaire. Une telle situation, legs du vieux droit romain, est-elle juste, est-elle bonne, est-elle profitable pour les enfants, pour la famille, pour la société, sans même parler de la femme qui en est la première victime ?

La femme laisserait-elle vendre aux étalages des kiosques, dans les rues et dans les gares, des images, des livres qui salissent l’imagination des enfants, et qui ne sont pas étrangers au développement des crimes ?

On dit « La femme n’a pas le temps de voter ! Elle a le « foyer à garder ! » Est-ce une ironie ? Il n’est ni bien long ni bien fatigant de poser un bulletin dans l’urne tous les trois ou quatre ans ! et il n’est pas nécessaire de fréquenter les réunions publiques pour savoir dans quel sens orienter son vote. Les sentiments de la femme, la droiture de son cœur, la guideraient mieux en cela que tous les beaux discours.

On dit encore : « En s’occupant de politique, la femme perdra son charme et sa féminité ». Là-dessus on nous fait une caricature de la féministe, on nous montre un être hybride, généralement laid, mal soigné, affichant une indépendance qui lui pèse, portant des cols empesés, des habits de coupe masculine, les cheveux courts, etc… Mais Dieu merci, cette peinture est outrée, et nous connaissons nombre de femmes, épouses aimées, mères respectées, jeunes filles pleines de grâce qui, sans aucun ridicule, et s’oubliant elles-mêmes, se consacrent avec passion au relèvement du sort de leurs sœurs.

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La Femme, créature irrationnelle




M. Wilfred Monod s’est attaché à réfuter les arguments des anti-féministes ; à cet égard, voici ce qu’il leur oppose dans sa brochure Féminin et Masculin :

On allègue, aussi, contre le suffrage féminin, des arguments d’ordre intellectuel. La femme serait une créature impulsive, irrationnelle… Le développement de ce thème est dans toutes les mémoires. Mais est-il nécessaire que l’intelligence féminine, pour exister, pour s’affirmer, soit identique à l’intelligence masculine ? Le psychologue Marison disait, avec finesse : « La femme, si elle est devenue de plus en plus différente de l’homme au cours des âges, est devenue en même temps de plus en plus son égale. » Et d’ailleurs, il en est du cerveau de la femme comme du pied des chinoises ; il a été comprimé, déformé. A-t-on réellement cherché à développer la raison des jeunes filles ? Monseigneur Dupanloup, progressiste pour son temps, voulait qu’on leur donnât une « instruction… simple, positive… claire » ; il stipule que leurs vêtements « soient toujours bien tenus, pas de taches, de déchirures, d’agrafes perdues… surveillez les gants et la chaussure ». Même quand on se décidait à élargir l’horizon des jeunes filles, on prenait à leur égard un accent de mièvre condescendance ou de demi-galanterie, on emmiellait les arêtes de la géométrie, on enrubannait les cornues du laboratoire ; si bien qu’on s’attirait cette véhémente protestation du critique Paul Stapfer : « Ne fardez pas, n’amoindrissez pas, ne féminisez pas pour elles l’austère science et la sainte vérité ! » En résumé, dans le domaine intellectuel, « ce qu’on appelle aujourd’hui la nature de la femme, est un produit éminemment artificiel ! »

Faut-il insister sur les objections morales ? Elles sont si faibles ! « La femme, disait Rousseau, est faite spécialement pour plaire à l’homme ». Absurde aphorisme et que Bonaparte commentait, à son insu, en ces termes qui sentent le Corse : « Il y a une chose qui n’est pas française, c’est qu’une femme puisse faire ce qui lui plaît ». C’est, d’ailleurs, un point de vue adopté par bien des femmes, qui font de nécessité vertu. Mme Albertine de Broglie écrivait à Mme Necker de Saussure : « Tout ce qui vient d’un mari est respectable pour la femme. Le caractère sacré de l’être doit donner quelque chose de saint, même à la volonté qui ne serait pas sainte… C’est pour cela que les femmes ne peuvent prendre part aux affaires humaines dont la justice est la base ; elles ne peuvent être tout à fait justes »… Ce prétendu plaidoyer en faveur du servilisme de l’épouse, est un réquisitoire formidable contre une certaine conception traditionnelle de la famille !

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Le Suffrage Féminin en Belgique




Dans un pays voisin du nôtre, en Belgique, un mouvement très intéressant se dessine, en faveur du suffrage féminin, sous la direction de Mlle L. Van Den Plas.

Il n’est pas l’instrument d’un parti politique, il est essentiellement populaire. Dans la conférence que nous reproduisons en partie, Mlle Van Den Plas a dit, avec une sagesse et une raison à laquelle nous applaudissons :

Pour obtenir le bulletin de vote, nous n’avons aucunement l’intention d’imiter les procédés violents ou excentriques de certaines suffragettes. Nous ne prétendons pas juger ces militantes, car la Presse déforme trop leurs actes pour que nous puissions les apprécier en connaissance de cause. Quoi qu’il en soit, autres pays, autres mœurs ; en Belgique, ce n’est pas, je crois, en cassant les vitres que les féministes gagneraient du terrain ; et dût-il même réussir, ce genre d’arguments n’a point nos sympathies…

Nous ferons de la propagande très paisiblement, dans tous les centres que nous pourrons atteindre, par des conférences, par des tracts plus ou moins étendus : les uns, mettant en relief quelques idées fondamentales, seront répandus largement dans les classes populaires ; les autres, plus complets, plus raisonnés, seront à l’usage des propagandistes…

Mais comment lutter pratiquement contre la corruption électorale qui mine déjà la femme et la menacera bien davantage dès qu’elle sera électrice.

Mesdames, vous savez que la mauvaise herbe envahit rapidement les terres incultes, tandis qu’elle ne pousse guère dans les champs couverts de moissons ou de fleurs : c’est là tout le secret. Hâtons-nous de cultiver la mentalité politique de la femme, durant les quelques années qui nous restent, de telle manière que sa participation au vote amène vraiment un progrès dans la vie sociale.

Inspirons-lui le respect de ce devoir nouveau et l’horreur de ce qu’on appelle : la politique de cabaret.

Les intérêts de la femme se confondent plus — que ceux de l’homme —

  1. Conférence de M. Dubreuil de Saint-Germain : La misère sociale et le suffrage des femmes.
  2. Conférence de M. Dubreuil de Saint Germain : La misère sociale et le suffrage des femmes.
  3. Conférence de M. Sclumberger, de Witt.