Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
RICHARD WAGNER


Depuis neuf ans, Louis-Philippe en était le maître et le prisonnier. Fin, intelligent, et sous ses dehors bonasses assez autoritaire, ce professeur était né diplomate et de goûts pacifiques. Il savait ce qu’il en coûte de faire le tyran et pensait qu’un souverain moderne est le président d’un conseil d’administration. Il gouvernait son pays comme on gouverne une banque, avec prudence, modération, humour, sans jamais négliger de s’assurer les bénéfices de toute bonne affaire, et s’employant sans cesse à ranimer la confiance de sa clientèle. Il était « national », non plus aristocrate. Il était juste milieu. Il était économe, thésauriseur, sachant la valeur d’un écu et décidé à n’aventurer sur aucun champ de bataille l’ordre nouveau, où la bourgeoisie, appuyée sur l’industrie et le commerce, allait assumer la magistrature souveraine : celle de l’argent. « J’ai détesté toute ma vie, dlsait-il, cette profonde iniquité qu’on nomme la guerre, iniquité dont le résultat est d’envoyer à la mort des milliers d’hommes qui pour la plupart sont indifférents, par position ou par tempérament, aux questions pour lesquelles on leur demande leur vie. Ce n’est pas pour rien que mes ennemis s’appellent : le Roi de la paix à tout prix ».

Ses ministres se nommèrent Molé, Laffitte, Guizot, Casimir Périer, Odilon Barrot, Arago, Broglie, Thiers. Ils étaient raisonnables aussi, ce qui n’empêcha point les émeutes. Mais, contrairement à ce qui s’est vu depuis chez les monarques d’Europe, Louis-Philippe se portait en personne vers les barricades où les soldats, relevant leurs fusils, l’applaudissaient en criant : Bravo le Roi ! Il inaugura l’Arc de Triomphe de l’Étoile ; éleva sur la place de la Concorde l’obélisque de Louxor ; fit établir dans tout le pays les grandes lignes de chemin de fer ; ramena de Sainte-Hélène les restes de Napoléon ; restaura le palais de Versailles sur sa cassette particulière et y dépensa vingt-cinq millions. Et pourtant ce roi sér1eux et bon pire de famille, ce « roi-citoyen », était la cible d’innombrables attentats parce qu’il s’attachait à une politique d’entente avec l’Angleterre. On l’accusait de poltronnerie. Il échappait par miracle à ses assassins, ne se dérobait cependant à aucun de ses devoirs, mais l’on comprend qu’i1 eût perdu la foi dans la sagesse des peuples et ne crût plus aux couronnes. « L’état actuel de toutes les têtes