Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
RICHARD WAGNER


triomphe à la Berlioz. Cela surpassait la victoire de Rienzi. Pas un spectateur, du parterre aux galeries, qui ne hurlât son enthousiasme. On l’a rappelé sans fin. Inouï… Incomparable… La Devrient elle-même n’aura désormais qu’à bien se tenir… Pourquoi donc faut-il une fois de plus que la presse se montre haineuse, ignoble ? Le terrible critique Rellstab ose imprimer que cette œuvre dénote un grand talent et de grandes erreurs ; pas un « morceau de vraie musique. », un travail laborieux, tout d’aigres dissohances ; « l’auteur a fait de son droit aux exceptions sa règle unique ». Y avait-il donc dans la salle de mauvais génies ? Le pâle visage de Mendelssohn se voyait en effet dans une loge d’avant-scène, pareil au diable en habit de gala d’un conte d’Hoffmann.

La seconde représentation ne fut guère meilleure. Les sifflets éteignirent de timides applaudissements. Après le spectacle, Wagner alla boire avec deux amis pour noyer le souvenir de cet échec dans une ouateuse indifférence. Et en rentrant quelque peu titubant à son hôtel, il se trouva en face d’un homme qui l’attendait, cérémonieux. Richard s’excusa : le visiteur devait bien s’apercevoir qu’on était hors d’état de s’occuper d’aucune affaire. Mais l’autre insistait, voulait absolument parler. Ils s’assirent donc dans une chambre glaciale où, à la lumière d’une bougie, le professeur Werder déclina ses noms et qualités, puis déclara qu’ « il avait entrevu ce soir-là le superbe avenir que promettait à l’art allemand une œuvre telle que le Vaisseau Fantôme ». Richard ne comprit pas. Etait-ce la suite du conte d’Hoffmann tout à l’heure commencé ? Il ne put articuler un mot et obligea ce singulier adepte à écrire son nom sur une feuille de papier, puis il se jeta sur son lit, dormit, rentra à Dresde le lendemain. La figure du professeur Werder lui apparut alors comme en un étrange rêve. N’était-ce pas singulier que son œuvre lui valut tant d’acerbes critiques chez les juges professionnels d’une part, et, de l’autre, qu’elle émût à ce point un spectateur cultivé qu’il se sentît poussé à venir, au milieu de la nuit, apporter au compositeur sifflé le témoignage le plus gratuit, le plus sérieux, le plus troublant aussi, de sa foi ?

À Hambourg, Rienzi fut mieux accueilli qu’à Berlin le Vaisseau. Mais la représentation — ostentatoire et banale — déplut tellement à l’auteur, que le directeur, connaissant