Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
RICHARD WAGNER


ram prononce le nom d’Élisabeth, exorcisme suprême : Tannhaeuser demeure sur place comme foudroyé. Et voici qu’un chœur d’hommes s’élève au loin pour célébrer la délivrance de la Sainte. Le mirage envoûtant s’efface avec les brumes et fait place à un cortège funèbre. On ramène le corps de la Bienheureuse aux pieds de celui qu’elle a sauvé par son sacrifice volontaire. Puis Tannhaeuser à son tour expire au moment que sa douleur et son repentir lui assurent le divin pardon ; et son bâton de pèlerin, que le Pape a damné, refleurit dans le miracle printanier de la foi.


Ce récit, où s’affrontent les joies païennes et le ciel de Marie, est l’étrange testament de la jeunesse d’un homme qui ne peut exprimer que son goût pour la souffrance et le néant. « Jusqu’à l’épanouissement final de la fleur qui exhale la mort », dit-il expressément, « jusqu’à l’anéantissement de soi-même… » — « Lorsqu’il revient de Rome, Tannhaeuser n’éprouve que de la rage contre un monde qui lui a interdit, à cause de la haute sincérité de ses sentiments, le droit à la vie, et ce n’est pas au désir de jouissance et de plaisir qu’il veut retourner au Vénusberg, c’est sa haine contre ce monde, auquel il doit prouver son dédain et son désespoir qui l’y poussent… C’est ainsi qu’il aime Élisabeth ; c’est cet amour qu’elle lui rend. Elle a pu ce que n’a pas pu le monde moral tout entier… Et Tannhaeuser mourant la remercie de ce sublime témoignage d’amour. Mais il n’y a personne qui ne puisse envier son destin ; et l’univers entier, Dieu lui-même, doit le proclamer bienheureux. »

Comme tous les grands vivants en quête de jouissances extrêmes, Wagner est hanté par la mort. « La fleur qui exhale la mort », il la respire avec une ferveur mystique. C’est en elle désormais qu’il va trouver toutes ses ressources pour vivre, sa musique même, ses éclats prophétiques ou tendres. Son Tannhaeuser est la première image véritable de lui-même qu’il ait réussi à donner, le symbole de sa lutte intime entre sa rage de plaisirs et son horreur des voluptés amoindrissantes. Seule la souffrance est réelle, pense-t-il, comme Schopenhauer, qu’il choisira bientôt pour guide. Et en cette même année où il compose son Tannhaeuser, et dans cette même Saxe, son futur disciple vient de naître, ce Frédéric