un compositeur pardonne tout. Richard joue donc pour
Flachs parce que celui-ci sait se tenir coi pendant tout le
temps nécessaire. Et un beau jour il arrive que le grand
Flachs a recueilli les airs du petit Richard et en a malaxé
un arrangement pour instruments à vent. Chose plus étonnante
encore, Flachs a remis son travail à l’orchestre du
Châlet Suisse, chez Kintschy, le pâtissier à la mode, qui le
joue en public. Quelle émotion ! Pour la première fois on entend
dans le monde, et chez un confiseur de Leipzig la
musique de Richard Wagner…
Volontiers le jeune débutant eût sauté au cou de Flachs s’il n’avait flairé l’imbécillité du personnage. Ses doutes furent confirmés peu de temps après par Flachs lui-même qui lui ferma sa porte au nez par jalousie. Non jalousie de musicien, mais d’homme, car il s’était épris d’une fille publique et redoutait d’avoir en ce collégien émancipé un rival. Richard s’en alla tout troublé d’être entré sans le savoir dans un nouveau mystère, le mystère « dégoûtant » de la chair.
Pour certains tempéraments, peut-être n’y a-t-il rien de plus hostile — et donc de plus suspect — que le réel ; rien de moins trompeur — donc de plus authentique — que l’imaginaire. Il se produit en eux comme un renversement de valeurs, une adaptation inconsciente de l’être créateur à ses exigences secrètes. Que brutalement le monde se révèle dans sa naturelle impudeur à une âme déjà équipée d’illusions, elle ne se laissera point longtemps scandaliser, mais s’attachera davantage à ses affections cachées. Ce qu’il y a de plus vrai pour l’adolescent Wagner, c’est le masque de Beethoven mort, les partitions de ses ouvertures qu’il recopie la nuit, tout ce pays du nouveau Théâtre de la Cour, cet univers de coulisses, de toiles peintes, d’acteurs et d’actrices, de musique gravée ou manuscrite. Le faux, c’est tout le reste, l’école, les boutiques des marchands, la bonne amie de Flachs, la vie. Brockhaus, dont le commerce prospère, tient le fil léger qui aboutit au monde artificiel des humains. Mais grâce à ses sœurs, à Rosalie surtout, Richard aborde quand il veut la terre solide du théâtre, où les hommes se dépouillent de leur déguisement social pour n’exister plus que dans la vérité