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LA COUPE DE SOCRATE


tacher qu’à « la glorification hardie de la libre sensualité ». Il ne recherche qu’une chose : « dévoiler l’immoralité de l’hypocrisie et ce qu’il y a de contre nature dans la cruelle rigidité des loils morales. » C’est le cas-type d’un refoulement, suivi d’une violente éruption sexuelle, qui, depuis longtemps, travaille ce corps en mal de plaisir. Sans rien connaître des passions, il les respire, les hume, veut à toute force en proclamer la libre jouissance, Dans le groupe de la Jeune Europe, cela s’appelait « émanciper la chair ». Et de cette confusion nouvelle des sens et des sentiments, Wagner n’éprouve guère autre chose qu’une étrange joie, coupée de doutes, mais toujours rebondissante, et qui se nomme chez lui état de création.

À peine cette esquisse jetée sur le papier, Apel et Wagner reviennent à Prague ; on y retrouve les jolies comtesses Pachta-Raymann dont le père était mort depuis peu, on se montre ironique, léger, fantasque, et bien débarrassé de la touche sentimentale, Puis, ayant ainsi prouvé que la tendre fleurette s’est vite flétrie et qu’on a assez mûri pour se charger désormais des grands devoirs de l’existence, les jeunes gens rentrent à Leipzig.

La famille Wagner attendait avec impatience le retour de Richard et tenait en réserve ume grosse nouvelle : le théâtre de Magdebourg, actuellement en représentations estivales aux bains de Lauchstaedt, cherchait partout un chef d’orchestre et lui offrait la place. C’était renoncer tout à fait à voir monter les Fées. Mais c’était aussi l’indépendance, un vrai début, le premier pas sur l’échelle.

Wagner ne balance guère. Il part. Il arrive à Lauchstaedt, va tout courant à la recherche du directeur, petit homme portant robe de chambre, calotte, et noyant une éloquence à l’ancienne mode sous des petits verres de schnaps. L’impression est mauvaise. Pire encore lorsque le régisseur l’informe que tout marche de travers, que le directeur ne s’occupe de rien, que l’orchestre ne veut pas répéter, qu’il a pourtant la prétention de jouer Don Juan dimanche… Et ce disant, cet homme allonge le bras par la fenêtre vers un cerisier tout noir de fruits ; il en arrache des bouquets qu’il mange en crachant les noyaux au loin. Wagner, qui a pour les fruits une aversion singulière, se décide aussitôt à refuser le