force. Sur six lettres qu’il lui a écrites, elle n’a répondu qu’à
deux, et d’une manière trop vague. Il part donc à sa poursuite…
Après quelques journées du voyage le plus éprouvant, au fort de l’été, à travers les Marches prussiennes, il arrive enfin à Kœnigsberg où il rejoint, dans une laide maison de la banlieue, l’actrice qui exploitait son petit commerce artistique au théâtre de la ville avec son habituelle sérénité. Wagner se détendit, patienta, rôda dans le monde des coulisses et des bureaux directoriaux.
Comme à Berlin, on promit à ce fatigant solliciteur la place du chef provisoire, Louis Schuberth, qui devait s’en retourner prochainement à Riga. Mais celui-ci ne s’en allait point, attaché à Kœnigsberg par une liaison avec la première chanteuse et faisait au surplus fort honnêtement son métier. D’où, rivalité d’abord sourde, puis guerre déclarée. Wagner tenta une diversion et suivit à Memel la troupe de comédie. Petit voyage mélancolique, en bateau, au long des lagunes sablonneuses qui séparent le Curish Haff de la mer.
Rongés de solitude et d’ennui, les fiancés revinrent à Kœnigsberg, quand le hasard fit soudain découvrir à Richard les lettres que le négociant Schwabe écrivait à Minna, et il apprit ainsi sur leurs amours « des détails qui le stupéfièrent… » « Toute la jalousie qui s’était accumulée en moi s’ajouta aux doutes que j’avais sur le caractère de la jeune femme et me firent prendre la prompte résolution de l’abandonner. » Quelle erreur ! Car ce n’était pas l’abandon qu’une telle découverte devait dicter au faible Wagner. Ces mots trop fiers, il les écrivit trente-cinq ans plus tard, et sous une autre influence… Mais alors, en pleine crise de jalousie charnelle, et poignardé dans son orgueil, ce n’est point d’abandon qu’il pouvait être question, mais au contraire de possession et de revanche. Le seul bien qu’il eût acquis durant ces années difficiles, était cette femme un peu basse, fille d’un ouvrier mécanicien saxon, mais jolie, séduite de bonne heure par un hobereau et mère à moins de dix-sept ans. Elle avait monté péniblement jusqu’aux plateaux des théâtres, utilisant, pour arriver à la tranquillité semi-bourgeoise qu’elle rêvait, tous les avantages qu’offrent la beauté et l’absence de passions. Elle y était à peu près parvenue, durement, obstinément,
