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RICHARD WAGNER


élevant en secret une enfant clandestine (qu’elle faisait passer pour sa sœur) et cachant des faiblesses qui ne lui coûtaient guère et rapportaient un peu. Aussi lorsque Wagner surgit sur son chemin, aperçut-elle tout de suite qu’elle obtiendrait de lui une réalité autrement précieuse que l’amour : l’honorabilité. Son ambition se bornait à cela, tandis que celle de son amant visait le bonheur ! « J’errais à la recherche de mon idéal », dit-il, Minna songeait peut-être « aux offres avantageuses qu’elle avait refusées ». Ils firent provision de violences. Richard outragea âprement celle qu’il aimait. Et l’adversaire bonasse apprit aussi le langage de la haine,

Dès ces premières explications, ils purent l’un et l’autre mesurer la distance qui les séparait. Mais, comme il arrive, plus cette distance paraissait redoutable, plus celui des deux qui dominait par l’intelligence s’entêta à se justifier ; non envers elle, mais envers lui-même et son cœur désabusé. À tant de tracas, d’incompalibilités, de trahisons entr’aperçues, il n’était qu’une réponse : le mariage. Ce pas décisif mettrait fin au doute, lui offrirait à savourer en outre le luxe de la générosité. Wagner le franchit donc les yeux fermés. Il y aurait assurément de beaux horizons au delà, et il se sentait déjà repris par cette légèreté divine qui donne des ailes au malheur.

La noce fut fixée au 24 novembre de cette même année 1836. La veille de ce jour, ii dirigea une représentation de La Muette de Portici, donnée à son bénéfice, et dont la recette constitua leur dot à tous deux. Ni Mme Geyer, ni les parents de Minna n’asssistèrent à la cérémonie. Mais ceux-ci envoyèrent leur bénédiction nuptiale à leur futur gendre, « Mr. Le Musikdirektor ». Pourtant la Tragheimer Kirche de Kœnigsberg était pleine de monde : acteurs, actrices, musiciens, chanteurs, et tout le personnel du théâtre. Le pasteur fit une allocution à laquelle Richard ne comprit rien. « Pour nous préparer au temps des épreuves — et sûrement nous n’y échapperions pas — l’ecclésiastique nous conseilla de nous adresser à un ami que nous ne connaissions encore ni l’un ni l’autre. Quelque peu intrigué de savoir qui était ce puissant et mystérieux protecteur s’annonçant à nous de cette façon originale, je levai avec curiosité les yeux vers le pasteur : et