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LA TEMPÊTE DU « VAISSEAU FANTÔME »

L’épreuve n’est pourtant pas terminée. Après trois jours d’escale, la Thétys remet à la voile, heurte un rocher, et il faut jeter l’ancre de nouveau pour vérifier la coque. On repart le 1er août. Le 6, se lève une fraîche brise du nord qui, vers le soir, prend une fois encore la violence de l’ouragan. Le 7, à deux heures de l’après-midi, ils se jugent perdus. Il y a un moment de désespoir. Les matelots jettent aux passagers de mauvais regards, seule quelque présence diabolique pouvant expliquer cette étrange suite de malheurs. Une vague arrache de la proue l’image symbolique de la nymphe Thétys, signe certain de la colère divine. Minna veut se jeter à l’eau, espère être frappée de la foudre, supplie son mari de l’attacher à lui afin qu’ils ne soient point séparés par la mort. Dans le sifflement du vent au travers du gréement, ils croient entendre le rire du Hollandais et toute la symphonie du désespoir.

Mais le lendemain, la mer s’apaise. Les demi-naufragés aperçoivent d’autres voiles, et le 9 août, après trois semaines d’une traversée riche en émotions de toute sorte, le petit bâtiment est accosté par le pilote anglais. Trois jours plus tard, il entre dans les eaux de la Tamise. Richard fait une longue toilette, se rase sur le pont, au pied du grand mât, s’habille de frais, et il quitte bientôt la Thétys avec sa femme et son chien pour entrer à Londres par le bateau à vapeur. Ils débarquent enfin sur la terre ferme et montent dans l’un de ces cabs étroits où il n’y a place que pour deux vis-à-vis. Richard s’assied en face de Minna et Robber se met en travers, la tête passant par l’une des portières, la queue par l’autre. Dans cet équipage, le compositeur et son épouse déambulent par la cité et tirent leur plan de bataille « pour vaincre la ville monstre ». Bataille qui se réduit du reste à un corps à corps d’une semaine, durant laquelle ils visitent Westminster Abbey et son Poets corner, avec le monument à Shakespeare ; puis le Parlement, où Wagner espère trouver lord Bulwer Lytton pour lui soumettre le livret de Rienzi. Mais lord Bulwer est absent et il faut se contenter d’entendre un discours du Premier, lord Melbourne, une réplique de lord Brougham, et, pour finir, avaler le discours d’un homme qui garde sur la tête son chapeau tromblon en castor gris, pérore les deux mains dans les poches et paraît fort ennuyeux.