Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome I.djvu/51

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dre depuis quel temps et par quelle infortune elle avait perdu sa liberté.

Je me dois ce témoignage, que malgré les charmes de sa figure, et ce désordre touchant où je l’avais vue à mes pieds et dans mes bras, il ne s’était encore élevé dans mon cœur aucun sentiment qui fût différent de la compassion. Ma délicatesse naturelle m’avait empêché de sentir rien de plus tendre pour une jeune personne qui sortait des bras d’un Turc, et dans laquelle je ne supposais d’ailleurs que le mérite extérieur qui n’est pas rare dans les sérails du Levant. Ainsi non seulement j’avais encore tout le mérite de ma générosité, mais il m’était tombé plus d’une fois dans l’esprit que si elle eût été connue de nos Chrétiens, je n’aurais pas évité la censure des gens sévères, qui m’auraient fait un crime de n’avoir pas employé pour le bien de la Religion, ou pour la liberté de quelques misérables captifs, une somme qu’ils auraient crue prodiguée à mes plaisirs. On jugera si la suite de cette aventure me rend plus excusable ; mais si j’avais quelque reproche à craindre dans son origine, ce ne serait pas ce qu’on va lire qui paraîtrait capable de me justifier.

Le moindre de mes désirs paraissant une loi pour Théophé, elle me promit de m’apprendre naturellement ce qu’elle savait de sa naissance et des aventures de sa vie.

« J’ai commencé à me connaître, me dit-elle, dans une ville de la Morée, où mon