Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome I.djvu/77

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lorsque j’entrepris de lui rappeler mon histoire, il marqua de l’étonnement que j’eusse oublié moi-même qu’il m’avait achetée d’un marchand d’esclaves. Je reconnus clairement que j’étais trahie. La force de ma douleur ne m’empêcha pas néanmoins de considérer que les injures et les plaintes étaient inutiles. Je le conjurai la larme à l’œil de me rendre la justice qu’il me devait. Il me traita avec une dureté qu’il n’avait jamais eue pour moi, et, m’apprenant sans pitié que j’étais esclave pour le reste de ma vie, il me conseilla de ne lui renouveler jamais les mêmes discours si je ne voulais qu’il en avertît son maître. L’illusion qui m’avait dérobé si longtemps mon sort acheva de se dissiper. Je ne sais comment ma raison s’était plus formée depuis le court entretien que j’avais eu avec vous, que par tout l’usage que j’en avais fait jusqu’à l’âge où je suis. Je ne vis plus dans mes aventures passées qu’un sujet de honte, sur lequel je n’osais jeter les yeux ; et sans autres principes que ceux dont vous avez jeté la semence dans mon cœur, je me trouvais comme transportée dans un nouveau jour par une infinité de réflexions qui me faisaient tout regarder d’un autre œil. Je me sentis même une fermeté qui me surprenait dans une situation si cruelle ; et, plus résolue que jamais de m’ouvrir les portes de ma prison, je pensai que pour chercher les voies du désespoir, il fallait avoir tenté mille moyens que je pouvais en-