Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/118

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connaître que mon cœur n’avait point encore perdu tout sentiment d’honneur, puisqu’il était si satisfait d’échapper à l’infamie ; mais j’étais né pour les courtes joies et les longues douleurs. La fortune ne me délivra d’un précipice que pour me faire tomber dans un autre. Lorsque j’eus marqué à Manon par mille caresses combien je me croyais heureux de son changement, je lui dis qu’il fallait en instruire M. Lescaut, afin que nos mesures se prissent de concert. Il en murmura d’abord ; mais les quatre ou cinq mille livres d’argent comptant le firent entrer gaîment dans nos vues. Il fut donc réglé que nous nous trouverions tous à souper avec M. de G*** M***, et cela pour deux raisons : l’une pour nous donner le plaisir d’une scène agréable en me faisant passer pour un écolier, frère de Manon ; l’autre pour empêcher ce vieux libertin de s’émanciper trop avec sa maîtresse, par le droit qu’il croirait s’être acquis en payant si libéralement d’avance. Nous devions nous retirer Lescaut et moi, lorsqu’il monterait à la chambre où il comptait passer la nuit ; et Manon, au lieu de le suivre, nous promit de sortir et de la venir passer avec moi. Lescaut se chargea du soin d’avoir exactement un carrosse à la porte.

L’heure du souper étant venue, M. de G*** M*** ne se fit pas attendre longtemps. Lescaut était avec sa sœur dans la salle. Le premier compliment du vieillard fut d’offrir à sa belle un collier, des bracelets et des pendants de perles qui valaient au moins mille écus. Il lui compta ensuite en beaux louis d’or la somme de deux mille quatre cents livres, qui faisaient la moitié de la pension. Il assaisonna son