Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/119

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présent de quantité de douceurs dans le goût de la vieille cour. Manon ne put lui refuser quelques baisers ; c’était autant de droits qu’elle acquérait sur l’argent qu’il lui mettait entre les mains. J’étais à la porte, où je prêtais l’oreille en attendant que Lescaut m’avertît d’entrer.

Il vint me prendre par la main, lorsque Manon eut serré l’argent et les bijoux ; et me conduisant vers M. de G*** M***, il m’ordonna de lui faire la révérence. J’en fis deux ou trois des plus profondes. « Excusez, monsieur, lui dit Lescaut, c’est un enfant fort neuf. Il est bien éloigné, comme vous le voyez, d’avoir des airs de Paris ; mais nous espérons qu’un peu d’usage le façonnera. Vous aurez l’honneur de voir ici souvent monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers moi ; faites bien votre profit d’un si bon modèle. »

Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir. Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue en me disant que j’étais un joli garçon, mais qu’il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche. Lescaut l’assura que j’étais naturellement si sage, que je ne parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire des petites chapelles. « Je lui trouve de l’air de Manon, » reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je répondis d’un air niais : « Monsieur, c’est que nos deux chairs se touchent de bien proche ; aussi j’aime ma sœur comme un autre moi-même. — L’entendez-vous ? dit-il à Lescaut ; il a de l’esprit. C’est dommage que cet enfant-là n’ait pas un peu plus de monde. —