Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/125

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bitude du désordre. Si c’est repentir, vous êtes un exemple signalé des miséricordes du ciel ; si c’est bonté naturelle, vous avez du moins un excellent fonds de caractère, qui me fait espérer que nous n’aurons pas besoin de vous retenir ici longtemps pour vous ramener à une vie honnête et réglée.»

Je fus ravi de lui voir cette opinion de moi. Je résolus de l’augmenter par une conduite qui pût le satisfaire entièrement, persuadé que c’était le plus sûr moyen d’abréger ma prison. Je lui demandai des livres. Il fut surpris que, m’ayant laissé le choix de ceux que je voulais lire, je me déterminai pour quelques auteurs sérieux. Je feignis de m’appliquer à l’étude avec le dernier attachement, et je lui donnai ainsi dans toutes les occasions des preuves du changement qu’il désirait.

Cependant il n’était qu’extérieur. Je dois le confesser à ma honte, je jouai à Saint-Lazare un personnage d’hypocrite. Au lieu d’étudier quand j’étais seul, je ne m’occupais qu’à gémir de ma destinée. Je maudissais ma prison et la tyrannie qui m’y retenait. Je n’eus pas plutôt quelque relâche du côté de cet accablement où m’avait jeté la confusion, que je retombai dans les tourments de l’amour. L’absence de Manon, l’incertitude de son sort, la crainte de ne la revoir jamais, étaient l’unique objet de mes tristes méditations. Je me la figurais dans les bras de G*** M***, car c’était la pensée que j’avais eue d’abord ; et, loin de m’imaginer qu’il lui eût fait le même traitement qu’à moi, j’étais persuadé qu’il ne m’avait fait éloigner que pour la posséder tranquillement.