Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/127

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l’air plus grave et moins sot qu’il ne l’avait eu dans la maison de Manon. Il me tint quelques discours de bon sens sur ma mauvaise conduite. Il ajouta, pour justifier apparemment ses propres désordres, qu’il était permis à la faiblesse des hommes de se procurer certains plaisirs que la nature exige, mais que la friponnerie et les artifices honteux méritaient d’être punis.

Je l’écoutai avec un air de soumission dont il parut satisfait. Je ne m’offensai pas même de lui entendre lâcher quelques railleries sur ma fraternité avec Lescaut et Manon, et sur les petites chapelles dont il supposait, me dit-il, que j’avais dû faire un grand nombre à Saint-Lazare, puisque je trouvais tant de plaisir à cette pieuse occupation. Mais il lui échappa, malheureusement pour lui et pour moi-même, de me dire que Manon en aurait fait aussi sans doute de fort jolies à l’hôpital. Malgré le frémissement que le nom de l’hôpital me causa, j’eus encore le pouvoir de le prier avec douceur de s’expliquer : « Hé ! oui, reprit-il, il y a deux mois qu’elle apprend la sagesse à l’hôpital général, et je souhaite qu’elle en ait tiré autant de profit que vous à Saint-Lazare. »

Quand j’aurais eu une prison éternelle ou la mort même présente à mes yeux, je n’aurais pas été le maître de mon transport à cette affreuse nouvelle. Je me jetai sur lui avec une si affreuse rage, que j’en perdis la moitié de mes forces. J’en eus assez néanmoins pour le renverser par terre et pour le prendre à la gorge. Je l’étranglais, lorsque le bruit de sa chute et quelques cris aigus que je lui laissai à peine la