Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/130

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ce qui avait obligé M. de G*** M*** d’y prendre intérêt était quelque liaison d’estime et d’amitié avec ma famille ; qu’il ne s’en était expliqué à lui-même que sur ce pied ; que ce que je venais de lui apprendre mettrait beaucoup de changement dans mes affaires, et qu’il ne doutait point que le récit fidèle qu’il avait dessein d’en faire à M. le lieutenant général de police ne pût contribuer à ma liberté.

Il me demanda ensuite pourquoi je n’avais pas encore pensé à donner de mes nouvelles à ma famille, puisqu’elle n’avait point eu de part à ma captivité. Je satisfis à cette objection par quelques raisons prises de la douleur que j’avais appréhendé de causer à mon père et de la honte que j’en aurais ressentie moi-même. Enfin il me promit d’aller de ce pas chez le lieutenant général de police : « Ne fût-ce, ajouta-t-il, que pour prévenir quelque chose de pis de la part de M. de G*** M***, qui est sorti de cette maison fort mal satisfait, et qui est assez considéré pour se faire redouter. »

J’attendis le retour du père avec toutes les agitations d’un malheureux qui touche au moment de sa sentence. C’était pour moi un supplice inexplicable de me représenter Manon à l’hôpital. Outre l’infamie de cette demeure, j’ignorais de quelle manière elle y était traitée ; et le souvenir de quelques particularités que j’avais entendues de cette maison d’horreur renouvelait à tous moments mes transports. J’étais tellement résolu de la secourir, à quelque prix et par quelque moyen que ce pût être, que j’aurais mis le feu à Saint-Lazare, s’il m’eût été impossible d’en sortir autrement.