Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/136

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et nécessaires ; qu’on ne trouve plus de tyrans ni de croix, et qu’on voit quantité de personnes vertueuses mener une vie douce et tranquille ? Je vous dirai même qu’il y a des amours paisibles et fortunées ; et, ce qui fait encore une différence qui m’est extrêmement avantageuse, j’ajouterai que l’amour, quoiqu’il trompe assez souvent, ne produit du moins que des satisfactions et des joies, au lieu que la religion veut qu’on s’attende à une pratique triste et mortifiante.

» Ne vous alarmez pas, ajoutai-je en voyant son zèle prêt à se chagriner. L’unique chose que je veux conclure ici, c’est qu’il n’y a point de plus mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de l’amour que de lui en décrier les douceurs, et de lui promettre plus de bonheur dans l’exercice de la vertu. De la manière dont nous sommes faits, il est certain que notre félicité consiste dans le plaisir. Je défie qu’on s’en forme une autre idée : or le cœur n’a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir que de tous les plaisirs les plus doux sont ceux de l’amour. Il s’aperçoit bientôt qu’on le trompe lorsqu’on lui en promet ailleurs de plus charmants ; et cette tromperie le dispose à se défier des promesses les plus solides.

» Prédicateur qui voulez me ramener à la vertu, dites-moi qu’elle est indispensablement nécessaire, mais ne me déguisez pas qu’elle est sévère et pénible. Établissez bien que les délices de l’amour sont passagères, qu’elles sont défendues, qu’elles seront suivies par d’éternelles peines, et, ce qui fera peut-être encore plus d’impression sur moi, que plus elles sont douces et charmantes, plus le ciel sera