Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/85

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infidèle, repris-je en versant moi-même des pleurs que je m’efforçai en vain de retenir ; demande ma vie, qui est l’unique chose qui me reste à te sacrifier ; car mon cœur n’a jamais cessé d’être à toi. »

À peine eus-je achevé ces derniers mots, qu’elle se leva avec transport pour venir m’embrasser. Elle m’accabla de mille caresses passionnées. Elle m’appela par tous les noms que l’amour invente pour exprimer ses plus vives tendresses. Je n’y répondais encore qu’avec langueur. Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j’avais été, aux mouvements tumultueux que je sentais renaître ! J’en étais épouvanté. Je frémissais, comme il arrive lorsqu’on se trouve la nuit dans une campagne écartée : on se croit transporté dans un nouvel ordre de choses ; on y est saisi d’une horreur secrète dont on ne se remet qu’après avoir considéré longtemps tous les environs.

Nous nous assîmes l’un près de l’autre. Je pris ses mains dans les miennes. « Ah ! Manon, lui dis-je en la regardant d’un œil triste, je ne m’étais pas attendu à la noire trahison dont vous avez payé mon amour. Il vous était bien facile de tromper un cœur dont vous étiez la souveraine absolue, et qui mettait toute sa félicité à vous plaire et à vous obéir. Dites-moi maintenant si vous en avez trouvé d’aussi tendres et d’aussi soumis ? Non, non, la nature n’en fait guère de la même trempe que le mien. Dites-moi du moins si vous l’avez quelquefois regretté ? Quel fond dois-je faire sur ce retour de bonté qui vous ramène aujourd’hui pour le consoler ? Je ne vois que trop que vous êtes plus char-