Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/86

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mante que jamais ; mais, au nom de toutes les peines que j’ai souffertes pour vous, belle Manon, dites-moi si vous serez plus fidèle ? »

Elle me répondit des choses si touchantes sur son repentir, et elle s’engagea à la fidélité par tant de protestations et de serments, qu’elle m’attendrit à un degré inexprimable. « Chère Manon, lui dis-je avec un mélange profane d’expressions amoureuses et théologiques, tu es trop adorable pour une créature. Je me sens le cœur emporté par une délectation victorieuse. Tout ce qu’on dit de la liberté à Saint-Sulpice est une chimère. Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi ; je le prévois bien, je lis ma destinée dans tes beaux yeux ; mais de quelles pertes ne serai-je pas consolé par ton amour ! Les faveurs de la fortune ne me touchent point ; la gloire me paraît une fumée ; tous mes projets de vie ecclésiastique étaient de folles imaginations ; enfin tous les biens différents de ceux que j’espère avec toi sont des biens méprisables, puisqu’ils ne sauraient tenir un moment, dans mon cœur, contre un seul de tes regards. »

En lui promettant néanmoins un oubli général de ses fautes, je voulus être informé de quelle manière elle s’était laissé séduire par B***. Elle m’apprit que, l’ayant vue à sa fenêtre, il était devenu passionné pour elle, qu’il avait fait sa déclaration en fermier général, c’est-à-dire en lui marquant dans une lettre que le payement serait proportionné aux faveurs ; qu’elle avait capitulé d’abord, mais sans autre dessein que de tirer de lui quelque somme considérable qui pût servir à nous faire vivre com-