Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/91

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chose, je lui dis que nous pouvions y louer un appartement meublé, et que nous y passerions la nuit lorsqu’il nous arriverait de quitter trop tard l’assemblée où nous allions plusieurs fois la semaine ; car l’incommodité de revenir si tard à Chaillot était le prétexte qu’elle apportait pour le vouloir quitter. Nous nous donnâmes ainsi deux logements, l’un à la ville et l’autre à la campagne. Ce changement mit bientôt le dernier désordre dans nos affaires, en faisant naître deux aventures qui causèrent notre ruine.

Manon avait un frère qui était garde du corps. Il se trouva malheureusement logé à Paris dans la même rue que nous. Il reconnut sa sœur en la voyant le matin à sa fenêtre. Il accourut aussitôt chez nous. C’était un homme brutal et sans principes d’honneur. Il entra dans notre chambre en jurant horriblement ; et comme il savait une partie des aventures de sa sœur, il l’accabla d’injures et de reproches.

J’étais sorti un moment auparavant, ce qui fut sans doute un bonheur pour lui ou pour moi, qui n’étais rien moins que disposé à souffrir une insulte. Je ne retournai au logis qu’après son départ. La tristesse de Manon me fit juger qu’il s’était passé quelque chose d’extraordinaire. Elle me raconta la scène fâcheuse qu’elle venait d’essuyer et les menaces brutales de son frère. J’en eus tant de ressentiment, que j’eusse couru sur-le-champ à la vengeance, si elle ne m’eût arrêté par ses larmes.

Pendant que je m’entretenais avec elle de cette aventure, le garde du corps rentra dans la chambre